
Nous l’avions dit, la situation politique pouvait évoluer en Egypte pendant le mois de Ramadan.
Et il faut reconnaître que le président Morsi a très finement joué, prenant le prétexte des incidents à la frontière israélo-égyptienne pour procéder à un remaniement et à une reprise en main de ses pouvoirs qui semble, au moins à court terme, couronnée de succès.
La concentration des pouvoirs dans les mains de Mohamed Morsi
A première vue, le limogeage du maréchal Hussein Tantaoui et du général Sami Enan s’est passé en douceur, et sans réaction immédiate de la part de l’armée. Il faut dire que le président a mis les formes, pour « sauver la face », en décorant les deux militaires, mardi 14 août, et en leur trouvant des postes honorifiques, qui sont plus que de confortables placards dorés. Hussein Tantaoui devient le conseiller spécial de Mohamed Morsi, et Sami Enan est placé à la tête du Canal de Suez.
En plus de se débarrasser du chef historique des armées, qui était en poste depuis vingt ans, le président Morsi a annulé les dispositions limitant son pouvoir. La décision constitutionnelle du 17 juin donnait en effet à l’armée le pouvoir législatif, et rejetait l’assemblée constituante, la jugeant illégitime.
Mohamed Morsi a récupéré le pouvoir législatif. Il est donc maintenant en position de dictateur quasi absolu, ayant le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le fait que le nouveau vice-président, Mahmoud Mekki, soit un magistrat renforce encore le pouvoir, en « annexant » peut être pratique le pouvoir juridique.
Néanmoins, cette réforme, qui met fin au pouvoir de personnes ayant été dans les dirigeants du pays pendant vingt ans, et qui annule le « quasi coup d’état constitutionnel » de l’armée a été particulièrement bien accueillie par le peuple.
Néanmoins, le fait qu’Hussein Tantaoui et Sami Enan restent au Conseil suprême des forces armées (CSFA), qu’ils aient été décorés par Morsi lui-même, pas avare de mots élogieux à leur égard « Compte tenu de votre loyauté et de votre amour pour la nation, il s’agit là d’un geste de gratitude de la part du peuple égyptien, et non de son président, envers un homme qui a été loyal à son peuple et à son pays« , et que l’armée conserve la main sur une grande partie de l’économie du pays peut laisser penser que la situation n’est pas « si simple que cela », et qu’elle peut évoluer dans un sens favorable à l’armée.
L’attentat contre Israël
Des rumeurs ont couru, particulièrement sur les medias israéliens, d’un limogeage préventif, un coup d’état étant en préparation. Dans ce cas, la remise de décoration et le discours de Morsi seraient notamment un démenti, en insistant fortement sur la loyauté de Tantaoui à l’égard de son peuple et de son pays.
On pense que l’attentat manqué contre Israël, où un commando avait réussi à franchir la frontière avant de se faire arrêter a en réalité été le prétexte du limogeage. Il fallait remplacer les responsables d’une armée incapables d’assurer la sécurité vitale de cette frontière, et qui avaient laissé se développer une certaine insécurité dans le sud. Le fiasco qui a coûté la vie à seize garde-frontières égyptiens, alors que les israéliens ont arrêté le commando sans aucune perte, a été assez mal perçu par la population. Il s’agissait donc non pas de décapiter l’armée en un geste hostile, mais de remplacer des éléments trop vieux, et c’est aussi pour cela que ce changement de personnes peut avoir été mené en accord avec l’armée.
Malgré l’opposition « de principe » des islamistes à l’état d’Israël, Morsi n’a pas réellement remis en cause, en tout cas jusqu’à maintenant, les accords de paix, et a affirmé sa volonté de sécuriser la frontière au maximum en évitant que de tels incidents se reproduisent.
L’Egypte a longtemps été dans une position difficile, étant le seul pays arabe à avoir signé la paix avec Israël, et les Frères Musulmans ont tiré argument de cette paix pour s’opposer à Moubarak, après l’attentat qui a couté la vie à Anouar El Sadate.
Les menaces de guerre qui planent sur le Moyen-Orient peuvent fortement modifier la situation, obligeant l’Egypte à revoir sa position, mais aussi modifiant l’équilibre des forces internes.
Les menaces de guerre entre Israël et l’Iran impactent l’Egypte
Depuis peu de temps, Israël est entré dans un bras de fer avec les Etats Unis et l’administration Obama, affichant clairement leur volonté d’entrer dans une guerre « éclair » avec l’Iran, le plus rapidement possible (sous deux semaines, soit juste après la fin de Ramadan ?).
Rappelons les conditions de l’ultimatum posé à l’administration Obama pour qu’Israël « accepte » de ne pas entrer dans la guerre :
1 : Barak Obama doit déclarer publiquement que les États Unis ne permettront pas à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire
2 : Les Américains, l’Allemagne et les autres membres permanents du conseil de sécurité (plus l’Allemagne) doivent lancer un ultimatum à l’Iran, fixant une date limite aux négociations avec l’Iran sur le nucléaire, à fin août au plus tard. Et pendant les pourparlers, les Iraniens doivent cesser l’enrichissement de l’uranium à 20% pendant les pourparlers.
3 : Étrangler l’économie iranienne. Les États Unis doivent décréter un embargo sur toute personne qui fait des affaires avec la banque centrale iranienne et annuler l’autorisation accordée au Japon et la Corée du Sud d’importer du pétrole iranien.
4 : Les États Unis doivent renforcer leur dispositif militaire dans le Golfe Persique
5 : Accepter le principe de la ligne rouge israélienne : l’Iran ne doit pas se donner la capacité d’avoir l’arme nucléaire..
Cela arrive au plus mauvais moment pour Obama, coincé entre les demandes de l’électorat juif, d’une part, le refus de la plupart des américains d’entrer dans un autre conflit, et le retrait des troupes US de l’Afghanistan. Aucune réponse positive n’a été donnée, et Israël se prépare à entrer en guerre.
Si aujourd’hui le président israélien essaye de calmer le jeu, en déclarant qu’Israël ne peut pas faire la guerre seul, et que rien n’est décidé, les déclarations bellicistes de militaires comme Matan Vilnaï, affirmant qu’Israël était préparée comme jamais, et que la guerre contre l’Iran durerait un mois au plus, montrent bien que la décision n’est pas prise, et que deux clans s’affrontent.
Or, en cas de guerre avec l’Iran, l’Egypte se trouverait dans une situation très difficile. Tenue à une solidarité « pan arabe » et musulmane, d’autant plus forte que le soutien à l’Iran serait dans la ligne naturelle des islamistes.
S’opposer à Israël pourrait impliquer de se retrouver en état de conflit direct. En situation de guerre, ce sont généralement les militaires qui ont le pouvoir. Et c’est peut être aussi à cause de ces perspectives inquiétantes que Mohamed Morsi cherche à réaliser l’équilibre impossible entre se concilier l’armée et récupérer autant que possible le pouvoir.
(PS : bien que ce ne soit pas le sujet de ce blog, je trouve que les déclarations de Vilnaï ont un petit côté « regardez qu’elle est belle ma ligne Maginot », et qu’affirmer que la guerre contre l’Iran ne durerait qu’un mois, alors que la région a toujours été un bourbier militaire (Aghanistan, Irak, Iran…) est au mieux un bluff, au pire une inconscience meurtrière)