Au Sud Soudan les vaches sont une richesse et une source de conflits

Au Sud Soudan les vaches sont une richesse et une source de conflits
Au Sud Soudan les vaches sont une richesse et une source de conflits

Le bétail est au centre de la vie des populations rurales du Sud Soudan. Les vaches sont à la fois une monnaie, un avoir dont la beauté est reconnue, et un enjeu pour lequel les tribus se battent.
Depuis quelques années, les razzias traditionnelles se sont transformées en combats mortels. Les hommes ne se contentent plus de voler le bétail : ils massacrent leurs rivaux, brûlent des villages, violent les femmes et maltraitent les enfants.

Le Sud Soudan, qui a conquis son indépendance il y a à peine un an, est confronté à des défis difficiles à surmonter, alors qu’il tente de construire un état équilibré et stable. Et un de ces défis les plus urgents et d’arriver à maintenir un semblant de paix entre les voleurs de bétail.

Un Mundari et son bétail

Un homme de la tribu Mundari, qui a été déplacée à cause des razzias, ici à Juba, dans l’état de Jonglei. Photo mise à disposition par la Mission des Nations Unies au Sud Soudan – Isaac Billy/AP

Parmi ces voleurs, on trouve Toonya, un homme âgé de 38 ans, avec des yeux rêveurs et des cicatrices ornementales sur le front. Il a vu des choses terribles. Il a fait des choses terribles.

En décembre dernier, il a conduit un raid de représailles contre les Murle, qui réunissait environ 7.000 membres de la tribu Loh Nuer. Selon un rapport des Nations Unies, en douze jours, la « Nuer White Army », comme ils avaient choisi de s’appeler, a tué plus de six cent personnes, avec des machettes et des AK-47. Bien entendu, ce nombre incluait de nombreuses personnes totalement innocentes, qui n’avaient pas participé à l’attaque des Murle contre les Nuer, un an auparavant, personnes qu’il s’agissait ici de punir.

« Nos terres sont à cinq jours de marche de celles des Murle, » explique Toonya. « Une fois sur place, quand la bataille commence, vous pouvez courir sans arrêt pendant six heures, en volant du bétail et en prenant des enfants et des femmes. »

Membres de la tribu Murle

Membres de la tribu Murle, déplacés à Pibor dans le Sud Soudan – Photo de la Mission des Nations Unies au Sud Soudan

« Si quelqu’un vous fait du mal, » continue-t-il, « il faut lui faire la même chose, pour qu’il sente la même douleur que vous. »

La difficile recherche d’une paix durable

En Mai 2012, Toonya était l’un des signataire d’un traité de paix entre les tribus guerrières de l’état de Jonglei, à l’est du pays. Environ de la taille de la Caroline du Nord, Jonglei est à la fois le plus grand, le moins développé et le plus violent des états du Sud-Soudan. Ses jeunes sont au chômage, lourdement armés, et extrêmement méfiants à l’égard des autres tribus.

« Si les Murle arrêtent de voler notre bétail, nous arrêterons de razzier le leur,  » déclare Toonya. « Mais si ils recommencent, nous réunirons les jeunes de mon village et nous les combattrons à nouveau. »

Cet accord de paix représente la dixième tentative en six ans de mettre fin aux violences inter-tribales liées au bétail. Jusqu’à maintenant, elles ont toutes échoué. Le président du Sud-Soudan, Riek Machar, explique que cette fois sera la bonne, parce les six chefs de tribu ont voyagé ensemble à travers le Jonglei, pour délivrer leur message : il faut mettre fin à ces atrocités.

« Durant les quatre derniers mois, il n’y a pas eu de vol de bétail. Il n’y a pas eu d’enlèvement de femmes et d’enfants, » déclare Riek Machar. « Je pense que le message a été entendu ».

Un problème de plus en plus important

Amer, jeune fille Dinka

Amer est une jeune Dinka âgée de seize ans, qui vit dans le Jonglei. Sa grand-mère demande quatre-vingt vaches pour sa dot. L’augmentation des dots est une des raisons qui explique la violence accrue dans les raids de bétail. – John Burnett/NPR

A une petite échelle, le vol de bétail est un phénomène connu depuis des générations au Sud Soudan et en Afrique de l’Est. Mais depuis quelques temps, il est devenu incontrôlable. Autrefois inconnus, les enlèvements sont devenus monnaie courante. Les voleurs s’emparent des femmes pour les prendre pour épouses, et des enfants, qu’ils utilisent comme bergers. Ils tuent les non-combattants, sans aucune discrimination, déclare le Révérend Tut Kony, un pasteur Presbutérien qui participe au processus de paix.

« Ils tuent les personnes âgées, les handicapés, les femmes, les enfants, même les bébés. Nous n’avions jamais connu cela dans le Jonglei », dit-il.

L’armée du Sud-Soudan a déployé 15.000 soldats au Jonglei, pour confisquer les armes. C’est la troisième campagne de désarmement en sept ans. Les habitants expliquent que les voleurs donnent un fusil à l’armée mais en gardent deux. Dans le village Dinka d’Anyida, le maire Bona Majok informe à regret les membres de la force de paix que les Murle on volé treize animaux qui paissaient près du village le dix-sept juillet. On peut cependant mettre au crédit de cette trève fragile le fait que personne n’a été sérieusement blessé ou kidnappé.

Le bétail dérobé appartient à Garang Mading, un homme abattu assis sous un acacia, près de la maison communale.

Qu’est-ce que cela implique pour un Dinka de perdre son bétail ?

« Vous vous retrouvez faible, moins qu’un homme, parce que tout ce que vous possédiez vous a été pris, » dit-il, ajoutant qu’il avait prévu d’utiliser ses vaches comme dot pour trouver une épouse.

L’augmentation du coût des dots

De plus en plus de voix critiques se font entendre, en expliquant que le prix des dots est la cause des violences inter-tribales.
Au Jonglei, le bétail est le seul moyen d’arriver à se marier. Une dot, c’est typiquement trente têtes. C’est une très bonne incitation au vol pour les jeunes célibataires.

Aya Guy, une vieille Dinka chauve, chiquant le tabac, se tient à côté de son petit troupeau, installé devant une étable ronde en roseaux. Pense-t-elle que l’accord de paix est un succès ? La paix a été signée, mais il y a encore des problèmes avec le vol de bétail, dit-elle.
« Nous avons toujours peur. Les vaches sont très importantes pour nous, les Dinka. Nous les gardons à côté de nous, ici ; nous ne les laissons plus aller aussi loin qu’avant. »

Avec un air plus joyeux, elle regarde sa petite-fille de seize ans, Amer, une grande et jolie jeune fille remplie de timidité.

« Je veux quatre-vingt vaches pour sa dot. »

Un récent éditorial du « The Citizen », un journal sud-soudanais, demandait « Pourquoi le bétail devrait-il être la cause de tant de morts et de destructions ? » et suggérait que l’on réduise le prix des dots. Mais cela risque d’être difficile à faire accepter aux vieilles Dinka comme Guy.

Après avoir lancé un long crachat de jus de tabac, elle confirme : « Quatre-vingt, pas une de moins ».

Traduction d’un article original de John Burnett,

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