La révolution numérique
NTIC : fracture ou
développement ?
Annie Chéneau-Loquay
*Directrice de recherche au CNRS. Responsable du programme AFRICA’NTI.
Les technologies de la communication sont considérées aujourd'hui comme un facteur indispensable pour accélérer le développement ; "L'avenir est radieux, il est fait de mobiles" proclamait t-on dans un rapport de l'UIT en 2000". "L'Afrique doit surfer la grande vague de la révolution technologique sinon elle sera encore plus marginalisée que jamais" assurait la Banque Mondiale en 1995. Dans toutes les instances internationales, dans tous les discours de chefs d'Etats ou de responsables politiques, dans la plupart des journaux et des médias est proclamée la nécessité pour les pays du Sud de se connecter au grands réseaux mondialisés et mondialisants.
Au bout de sept à huit ans d’injonction à utiliser les NTIC « au service du développement » il s’avère que loin de « rattraper » les pays riches grâce au « saut technologique », les pays les plus pauvres s’en sont éloignés et la « fracture numérique » s’est accentuée, ce qui d’ailleurs était prévisible et correspond au processus historique connu ; quand un marché s’installe à l’échelle mondiale les écarts se creusent entre ceux qui sont aptes à en profiter d’abord, les plus riches, pays et individus, et ceux qui ne le sont pas, les pays pauvres et la majorité de leurs habitants. La fracture numérique se calque sur les inégalités socio-économiques et territoriales. Et pourtant à peu près tous les organismes de l’ONU et d’aide internationale ou nationales, Banque mondiale en tête, ont placé depuis 1995 dans leurs priorités l’accès des « laissés pour compte » à la société globale de l’information mais sans infléchir le dogme libéral.
Les pays d’Afrique de l’Ouest sont donc tous confrontés bon gré mal gré aux bouleversements d’un monde des télécommunications qu’ils ne maîtrisent plus. Ils sont très peu présents dans les négociations internationales mais ils en subissent de plein fouet les conséquences. Ils ne participent pas aux grandes manœuvres qui opposent les opérateurs des pays développés dans le champ des télécommunications et des médias et sont ainsi dépendants de stratégies externes de conquête des marchés dont on n’explicite jamais les ressorts. Leurs marges de manœuvre pour faire les choix qui s’imposent en termes d’équipement et de gouvernance pour répondre à la demande des populations sont donc restreintes et sous l’influence du seul modèle libéral prôné par la Banque Mondiale et par le FMI. Localement les populations créent des modes d’appropriation de ces nouveaux outils conformes à la faiblesse de leurs revenus mais qui risquent de s’avérer inadaptés dans la course constante aux innovations.
Des discours péremptoires
La domination de l'Europe du nord et surtout celle des Etats-Unis sur le secteur des télécommunications par rapport aux pays en développement s'exerce par différents moyens ; la remise en cause d'accord internationaux, l'influence sur les agences internationales, la mainmise des multinationales sur les infrastructures et sur les services qui fait des Etats-Unis la plaque tournante des réseaux et des flux d'information mondiaux, en particulier pour Internet.
Le discours omniprésent des organismes internationaux qui ont fait des NTIC leur nouvelle priorité pour le développement ou plutôt, selon un terme consacré pour « réduire la pauvreté » montre bien la pérennité d’une « hégémonie intellectuelle » de ceux qui savent, les élites du nord par rapport à ceux qui doivent apprendre et agir selon les directives élaborées pour eux. Le monde étant entré dans "l'ère de l'information", il s'agit de faire en sorte que soient mises en place des politiques qui devront s'imposer à tous. Peu de thèmes ont bénéficié dans le champ du développement d'un intérêt aussi large. Le discours porté par les organismes internationaux a trouvé là un nouveau moyen d'exprimer sa réthorique. 2
"Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain" est 3 le thème du rapport annuel du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) de 2001. Ce rapport affirme que les TIC sont un outil sans précédent pour en finir avec la pauvreté au XXIème car elles interviennent à presque tous les niveaux de l’activité humaine, qu’elles peuvent être utilisées quasiment partout et pour tous et aussi parce que ces technologies suppriment les obstacles au développement humain - en éliminant les obstacles au savoir, les pauvres comme les riches pouvant accéder à l’information grace à Internet ; - en éliminant des obstacles aux opportunités économiques.. Selon Mme Sakido-Fukuda Parr, Directrice du programme NTIC au PNUD, même si la lenteur des gains de productivité et le naufrage des sociétés.com peuvent tempérer l’anthousiasme que la nouvelle économie a suscité à ses débuts, il s’agit là d’un raisonnement à courte vue et étroit parce que les changements sont structurels et ne se limitent pas aux cours de la bourse et à la croissance économique. 4 (extrait du rapport du PNUD 2001). Ainsi la cause est entendue, on ne peut mieux exprimer le déterminisme technologique qui imprègne la pensée unique qu’en écrivant que « le progrès humain dépend du progrès technique » ; « Dans les pays en développement aussi, l’augmentation du nombre des utilisateurs fait baisser les côuts et les technologies sont adaptées aux besoins locaux ; Le potentiel des TIC ne sera donc limité que par l’imagination et la volonté politique. ».
Le même rapport constate aussi que la « fracture numérique » s’élargit mais les experts ne sont pas dupes "En fait croire qu'il existe une technologie magique pour remédier à l'analphabétisme, aux maladies et aux crises économiques prouve que l'on ne comprend rien à ce qu'est véritablement la pauvreté". Le maître mot est lâché, la pauvreté, responsable de tous les maux, qui caractérise et englobe les pays des Suds, l’Afrique surtout. Pourtant qu’à cela ne tienne l'injonction à se mobiliser et à relever le "défi" demeure, car sinon les « acteurs du développement » local, seront coupables de se mettre à l’écart et ne profiteront pas des bienfaits de la mondialisation. "Si les acteurs du développement ignorent délibérément l'explosion de l'innovation technologique; ils risquent de se marginaliser; Cela reviendrait à refuser aux pauvres des opportunités". 5
Ce type de discours à caractère prescriptif, utilisant certains concepts et pas d’autres (défi, opportunité mais pas inégalité, public exploitation) fait d’injonctions de conseils voire de menaces est très caractéristique ; il n’y a plus qu’à être convaincu et à suivre les préceptes du Président de la Banque mondiale ou de celui du PNUD dépositaires de la conscience morale universelle qui adressent un avertissement solennel à la communauté internationale. 6 Jamais ne sont mises en question les structures de pouvoir, c’est toujours la même répartition des rôles ; aux pays riches de trancher les questions économiques et aux pays en développement de prendre des mesures pour lutter contre la pauvreté la corruption et la mauvaise gestion.
Le discours sur les nouvelles technologies de la communication comme facteur essentiel du "développement" a été relayé dans toutes les instances internationales depuis 1995 par les chefs d’Etats africains les plus éminents. Nelson Mandela lors de la cérémonie d'ouverture de TELECOM 1995 à l'UIT à Genève mettait l'accent sur la nécessité de réduire l'écart entre nantis et démunis et exhortait à inscrire les questions relatives aux télécommunications dans le débat public général sur les politiques de développement à ne pas les traiter comme l'un des secteurs commerciaux de l'économie, que l'on peut abandonner aux lois du marché mais à créer une coopération internationale à long terme. Un an plus tard en octobre 1996, toujours à Genève, le Président du Mali Alpha Oumar Konare indiquait que l'Afrique était résolue à relever le défi que représentent les nouvelles technologies de l'information et de la communication grâce à un nouveau partenariat. Il voulait s'engager dans la promotion des NTIC “ sans naiveté ” et bien en comprendre les enjeux de tous ordres. Le réseau ANAIS qui visait à promouvoir les usages d’Internet dans toutes les couches sociales par le milieu associatif était créé avec l’aide de la coopération suisse et en février 2000 à Bamako un colloque réunissait 1500 personnes pour établir un premier bilan autour du thème "Internet passerelles du développement". Cette manifestation a été à l’origine de la création du prochain sommet mondial de la société de l’information qui aura lieu à Genève en décembre 2003. La première préparation à ce sommet a eu lieu en Afrique en février 2002 toujours à Bamako. elle a montré un certain désenchantement de la société civile par rapport à l’enthousiasme du début et le suivi de la préparation du sommet montre la réticence des organisateurs l’UIT par rapport à la présence et aux revendications des ONG.
Une marge de manœuvre étroite pour les Etats
Mais si les discours et les écrits à caractère prescriptif foisonnent, on connaît mal la réalité des processus d'insertion de ces outils et leurs impacts en particulier sur les reconfigurations du pouvoir et des territoires. En effet, le développement de ces technologies pose un défi dans la mesure où elles diffèrent profondément des réseaux matériels de communication sur lesquels s'est fondé le développement industriel, elles modifient profondément les règles de fonctionnement des sociétés et des territoires. 7 Le téléphonie mobile ou satellitaire et Internet comportent le risque d'un contournement du territoire de l’Etat à la fois par le haut en raison de la dématérialisation des ces systèmes et de l’absence de maîtrise technologique et par le bas si ces outils prolifèrent dans les réseaux de l'immense secteur dit "informel" qui fonctionne à l'échelle internationale. Aux facteurs proprement techniques qui peuvent jouer sur la remise en cause du rôle de l'Etat s'ajoute le facteur économique et politique global que constitue l'unanime et très puissante injonction à la libéralisation et à la privatisation du secteur des télécommunications.
Sous l'injonction libérale
Avec 2 % des lignes pour 13 % de la population mondiale, le simple téléphone est encore un outil hors d'accès pour la majorité de la population africaine mais des progrès considérables ont été faits. Entre 1995 et 2001 la télédensité a presque doublé passant de 1,7 à 2,68 lignes pour 100 habitants Vingt deux pays en 2000 contre huit en 1996 comptaient plus de 10 lignes fixes pour 1000 habitants, le téléphone mobile a connu une véritable explosion et comble dans bien des cas les carences du fixe, L’Afrique aurait atteint 15,6 millions d’abonnés au téléphone mobile en 2000 soit un peu plus que l’Océanie mais avec un taux de pénétration bien inférieur, un téléphone pour 100 habitants contre 30. C’est ce continent a connu la progression la plus forte, avec un doublement des abonnés en un an (1999-2000) Le nombre de mobiles dépasse déjà celui du fixe dans 19 pays en 2000.
Internet est présent dans tous les pays mais très majoritairement dans les grandes villes. L’Afrique aurait compté fin 2001 4,4 millions d'internautes sur 450. Tous les pays sont connectés mais 50% des internautes sont en Afrique du Sud, 16% en Afrique du nord et 29% au sud du Sahara. Selon les données de l'Union Internationale des télécommunications, malgré une forte progression, l’écart se creuse avec les autres continents. La croissance moyenne du nombre des internautes dans le monde en 2000 est de 43% contre 40% en Afrique soit deux fois moins que le téléphone mobile. Une forte demande existe mais elle se heurte au manque d'infrastructures téléphoniques et à leur inégale répartition ce qui se traduit par le fait que le taux de branchements au web soit le plus fort au monde par rapport au nombre d’abonnés au téléphone. Les autres obstacles structurels que constituent le manque de compétences et l'analphabétisme, le coût élevé du matériel et de l'accès, entravent aussi la progression des connexions. Pourtant le continent n'a pas échappé au bouleversement mondial des télécommunications avec le démantèlement des opérateurs historiques, l'ouverture de leur capital et la libéralisation des secteurs rentables, Internet et téléphonie mobile.
Le passage à une gouvernance internationale qui favorise la mainmise des multinationales sur les infrastructures et sur les services des pays les plus rentables, la remise en cause d'accords internationaux, la relative dématérialisation des nouvelles technologies, l’absence de maîtrise technologique réduisent la marge de manœuvre des Etats. Poussés par les injonctions du FMI, de la Banque Mondiale et de l’UIT, la plupart des Etats africains se sont engagés bon gré mal gré dans la libéralisation du secteur des télécommunications ; séparation de la poste et des télécommunication, ouverture du capital de l’opérateur historique, privatisation des nouveaux services, téléphone mobile et Internet, création d’une instance de régulation indépendante.
L'Union Internationale des Télécommunications (UIT), instance de l’ONU créée pour coordonner les politiques nationales travaille désormais selon la ligne de l'OMC. Les douze pays africains signataires de l'accord mondial de 1997 sur la libéralisation des télécommunications, (l'Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire, Djibouti, la Gambie, le Ghana, Maurice, le Maroc, le Nigeria, le Sénégal, la Tunisie, la République démocratique du Congo, le Zimbabwe) se sont engagés à accorder les mêmes avantages à tous les investisseurs nationaux ou étrangers. Près de 60% des investissements dans les télécommunications sont autofinancés en Afrique, ce qui est important comparé aux autres régions en développement, 20% proviennent de l’assistance multilatérale, le reste d’organismes bilatéraux, de dons ou de prêts. Considéré comme l’un des secteurs les plus rentables sur le continent, l’aide extérieure disponible déjà en régression doit servir ailleurs. D’où cette politique qui consiste à pousser ces pays à privatiser afin de bénéficier d’apports financiers d’investisseurs privés. Prenant argument des prévarications dans ce secteur, véritable aubaine pour les Etats, la Banque mondiale pousse à une ouverture totale des marchés de télécommunications. Devenu le principal instrument multilatéral de financement des pays en développement à la place de l’ONU 88 Les Etats Unis utilisent leur pouvoir au sein des institutions financières internationales pour transformer en particulier la Banque Mondiale en agence mondiale de développement mettant ainsi en péril les agences de développement des Nations Unies. Le budget du PNUD est passé de 1,2 milliard de dollars à 700 millions en quelques années. Tavernier Y. 2000, Fonds Monétaire et Banque Mondiale, vers une nuit du 4 août ? Les documents de l'Assemblée Nationale, n°2801, 2000., elle s’est substituée à l’UIT en étendant ses compétences à ce secteur, elle donne en particulier des directives sur la manière de concevoir les instances de régulation nécessaires dans un contexte de privatisation.
Il y a seulement cinq ans, des investissements importants étaient nécessaires pour déployer un réseau de télécommunications, et ils étaient naturellement sous monopole, public ou privé, désormais, de toutes petites structures peuvent être opérateur de réseaux de télécommunications avec des capitaux peu importants . On assiste à un éclatement entre des réseaux physiques qui se banalisent et qui ne sont plus sous l’autorité des opérateurs historiques de télécommunication et des apporteurs de service qui se chargent davantage des relations avec la clientèle et se déchargent de la gestion logistique des infrastructures et des aspects comptables.99Toute entreprise disposant d’une infrastructure ferroviaire, routière, toute entreprise gérant des réseaux physiques peut se lancer avec des chances raisonnables de succès dans la fourniture d’infrastructures téléphoniques en complément de ses propres infrastructures. En France, les exemples sont nombreux (SNCF, RATP, Lyonnaise des Eaux, Compagnie Générale des Eaux, Sociétés d’autoroutes,...). Aux Etats Unis, 1800 structures (de quelques salariés à des structures ayant plus de 100000 salariés) offrent un service téléphonique sur le marché intérieur.Jean MARCHAL, "Les nouveaux réseaux, in CDROM internet au Sud, 1999. Cette nouvelle donne est liée à l'évolution des technologies qui permet une baisse des coûts.
Alors que les Etats détenaient partout le monopole des opérateurs historiques de télécommunications, à la fin de 1999, dix neuf pays africains avaient mis en place un organisme de réglementation et environ 50 % avaient libéralisé la téléphonie mobile. Quinze opérateurs ont été privatisés et sept devaient l’être au cours des années 2000-2001. Mais la tendance est plutôt au ralentissement des opérations, un pays le Kenya a même renoncé à privatiser l’année dernière.
Depuis cinq à six ans la situation a donc beaucoup évolué sous l’effet de nouveaux investissements1010 Pour plus de détails voir nos articles, Nord Sud, quelle Afrique dans une société de l’information mondiale, et Les nouveaux territoires de la téléphonie mobile (Chéneau-Loquay 2001). Mais des grandes manœuvres en cours résulte une insertion très inégale des NTIC selon les pays. L'accès et l'usage d'Internet épousent en Afrique comme ailleurs les lignes de clivage socio-territoriales dans des configurations caractérisées par une extrême hétérogénéité reflet du "mal développement". Internet est d'abord l'apanage des centres villes et de leurs élites mieux reliées aux centres mondiaux qu'à leur propre hinterland mais de nouveaux territoires en réseaux se renforcent ou se dessinent à partir des besoins de l'échange.
Brûler les étapes ?
Pour créer un territoire et le contrôler, un Etat dispose de deux méthodes d'encadrement, le maillage administratif et le maillage technique de l'espace par les réseaux d'infrastructure. Les routes, les réseaux électriques ou téléphoniques filaires permettent les circulations des hommes des biens et des informations et le fonctionnement d'un territoire comme un tout organique. Dans les pays pauvres les lacunes du territoire, espaces en réseaux et espaces hors réseaux expriment la faiblesse de l'Etat et de profondes inégalités sociales, l'insertion des NTIC ne va t- elle pas élargir ces lacunes ?
C'est parce qu'il ne peut pas construire des routes pour relier les villages dans un pays aussi vaste et démuni que le Mali, que le Président Konare voulait les connecter à Internet. Le projet de connexion des 703 communes est avant tout un projet politique, il faut installer le téléphone, l'ordinateur, Internet et la télévision dans chaque commune pour amener l’administration aux administrés, ce qui permettrait de décentraliser tout en gardant le contrôle sur le territoire. Des bases de données, les textes réglementaires, permettront d’accéder à de l’information et d’en envoyer. L’ensemble du programme sera associé à un plan "Energie pour les télécommunications". Il s’agit de rompre l’isolement des villages et par là de mieux les intégrer à la nation. L’Etat est dans son rôle, il cherche à construire son territoire.
Mais quelles sont les possibilités de réussir une telle entreprise ?
Si l'on en croit les défenseurs de la théorie du saut technologique 1;111 “ In technology leapfrogging the extent of the leap is in inverse proportion to the technological inertia carried along. The push should therefore be for the cutting edge. The latest technology should be used in building new infrastructure. African countries will thus leapfrog several stages and decades in the IT development process. In doing so, they will learn from the experience of more advanced countries the ways and means of providing the greatest social benefits to a large fraction of the population while avoiding any unpleasant side effects. ” par S. Yunkap Kwankam [email protected],N.NtomambanNingoUniversity of Yaounde I
Cameroon il s’agit de brûler les étapes en adoptant les techniques les plus modernes et les pays les plus mal équipés sont justement ceux qui peuvent accomplir les progrès les plus radicaux puisqu’ils ne sont pas embarrassés par des infrastructures désuètes qu’il faut entretenir. Un pays comme le Mali serait donc paradoxalement bien placé puisqu’il cumule tous les handicaps en matière de télécommunications. Il fait partie des pays où la télédensité est parmi les plus faibles au monde, 2,5 lignes pour 1000 habitants selon l’IUT en 1999, 4 selon la SOTELMA début 2001, avec un réseau largement obsolète et limité, des pannes très fréquentes, de mauvaises liaisons internationales et 75% des lignes concentrées dans la capitale qui ne représente que 10% de la population. En outre le système est très mal géré.
A la base de tout développement des NTIC se trouve le support, le réseau des télécommunications, réseau interne et aussi liaisons internationales qui doivent être désormais capables de transmettre la voix mais aussi les données et les images à un débit confortable pour l’utilisateur, cette convergence étant l’un des avantages majeurs de la révolution en cours. Or, accéder au monde virtuel implique toute une infrastructure préalable, matérielle dont on oublie l’importance dans le monde développé mais qui pose des problèmes très pressants de choix techniques, de types d'accès, de services, de réglementation et de financements. Alors que les infrastructures terrestres sont conçues à un niveau national ou régional, les systèmes de communication sont intrinsèquement transfrontaliers et ils concernent d'autres espaces que le simple espace terrestre, l'espace circum-terrestre et les océans, espaces dont la maîtrise échappe totalement aux pays africains. Les firmes multinationales s'y font une concurrence acharnée et les retombées sur les Etats sont imprévisibles.
L’Etat doit pourtant arbitrer entre des liaisons par câble sous marin ou souterrain ou par satellites ou savoir combiner les deux, le câble étant mieux adapté aux zones côtières peuplées. 45 pays africainssont reliés au reste du monde par satellite, le consortium Intelsat à qui il faut payer des redevances pour la location des accès et dont les tarifs risquent d'augmenter puisque son mode de gestion très original, coopératif, a été remis en cause sous l'impulsion des Etats Unis. Mais la situation change avec le nouveau câble installé depuis Le Cap jusqu’au Portugal (SatIII, Wasc) et peut être la mise en service cette année de la constellation de satellites RASCOM.
L’organisation panafricaine RASCOM est issue d’une initiative qui affiche la volonté du Continent de s’affranchir de la dépendance vis-à-vis du reste du monde dans le secteur des télécommunications, elle se présente comme "la solution africaine formulée par les pays africains pour répondre à leur besoins spécifiques tels que identifiés par eux-mêmes". 12 Créée en 1992, RASCOM regroupe 43 pays. Son objectif est de mettre à la disposition de chaque pays africain des moyens efficaces et économiques de télécommunications et de radiodiffusion sonore et télévisuelle en ayant recours à des technologies appropriées, en particulier des communications par satellite convenablement intégrées aux réseaux existants (Ducreux A.1997). Mais la mise en œuvre des décisions de RASCOM bute sur les difficultés d'une entente entre les Etats et sur celle de réunir les financements nécessaires. Il semblerait que RASCOM se soit récemment ralliée à l'offre d'Alcatel (Aquila) de fournir à partir des satellites géostationnaires des services en interconnexion avec les réseaux existants à des abonnés de zones isolées.
La plupart des Etats contrôlent encore l'accès à Internet, la bande passante à l'intérieur de leurs frontières mais dépendent pour les liaisons extérieures des opérateurs de télécommunications américains. Leur pouvoir est tel que les Etats-Unis sont devenus la plaque tournante des télécommunications mondiales, en particulier pour Internet. (Quéau P.,1999) . Le Ghana a autorisé à côté du nœud national un opérateur privé à ouvrir un accès, le Cameroun n'a pas de nœud national, ce sont des exceptions. La pression des Etats Unis pour contourner aussi l'opérateur national a largement échoué. A partir de 1996, l'Initiative Leland de l'USAID a proposé des liaisons à une vingtaine de pays à travers un programme de 15 millions de dollars, application de l'idée d'une infrastructure globale de l'information lancée par le vice président américain Al Gore. mais sans établir de relation avec l'opérateur national. Une assistance en équipement, expertise, formation et accès gratuit pendant un an était prévue à condition que les pays s'engagent à libéraliser leur marché. En fait, la plupart des pays africains n'ont pas accepté les offres de Leland qui a du changer de politique. Sept pays seulement ont fini par accepter l'offre et ce ne sont que des opérateurs nationaux. Depuis les liaisons se sont diversifiées mais il n'y a toujours pas de "hub" africain, la dépendance est totale.
Mais le plus grand défi pour tous les Etats africains est celui de la modernisation du réseau d'accès au client, de son extension au monde rural et surtout de son interconnexion. Les évolutions technologiques permettent d’y répondre et d'échapper à une certaine "rugosité" de l'espace physique. Le système filaire classique, la ligne téléphonique tend à être remplacé ou complété par des systèmes hertziens plus souples.
Dans le monde rural existe une forte demande de liaisons téléphonique surtout pour communiquer avec l'importante diaspora des travailleurs immigrés. Mais en zones d'habitat dispersé les coûts sont prohibitifs avec les techniques classiques alors que grâce à des faisceaux hertziens ou avec des systèmes dits à boucle locale radio s'offrent des alternatives moins coûteuses. Ce système peut ouvrir une brèche dans le monopole en étant mis en place par des opérateurs locaux et pris en charge par la population. Combinée à du cellulaire il suffit d'un seul émetteur récepteur pour relier plusieurs milliers de téléphones mobiles selon une structure spatiale surfacique en tache et non plus linéaire. De telles installations ont été réalisées ou sont en projet. Pour les zones les plus éloignées on choisit de plus en plus la technologie satellitaire qui se base sur un réseau VSAT ( very small aperture technology). Une parabole VSAT suffit pour restituer la voix, le son et l'image et permet la connexion à Internet. C’est la technologie qui offre les plus grandes possibilités de s'affranchir des contraintes territoriales en captant directement les signaux satellitaires, et aussi par conséquent le plus de possibilités de fraude, en ignorant l'Etat seul détenteur et attributeur des fréquences.
L'exemple d'Américains qui ont installé Internet dans un village cambodgien grâce à l'énergie solaire et au satellite est très significative des dérives possibles. Les villageois sont mis en relation avec un hôpital de Boston mais pas avec Phnon Penh, le coût de la liaison est exorbitant, 18000 dollars par an et les autorités cambodgiennes n'apprécient guère qu'une ONG contourne ainsi le monopole d'Etat des télécommunications. 13
Le service universel dernière frontière ?
En milieu rural la demande est réelle mais le premier facteur d'accessibilité est le coût et les opérateurs surtout privatisés comme la SONATEL au Sénégal ne pratiquent pas la péréquation comme c’est le cas en France par exemple. Au Sénégal. Le Directeur commercial de la SONATEL en 2001 expliquait que la téléphonie rurale vivait du trafic arrivée . C'est en effet les considérables revenus issus du trafic international qui permettent d'équiper les villages. Ce sont en fait en grande partie les immigrés de la diaspora qui enrichissent les sociétés de télécommunications. 14 Au Sénégal et sans doute aussi au Mali et dans d’autres pays, le trafic international est trois fois plus fort à l'arrivée qu'au départ, or ce trafic génère une taxe, un système de répartition, un droit d'entrée, qui est versé par l'opérateur du pays de départ depuis l'origine de la réglementation internationale sur les télécommunications et qui a été remise en cause unilatéralement par les Etats Unis. Ces taxes représentaient en 2000, 1/3 des bénéfices de la SONATEL. La baisse des revenus liés à la suppression de la taxe de répartition occasionne une perte de ressources parfois considérable pour les pays les plus pauvres, ceux qui reçoivent plus d’appels qu’ils n’en émettent. 15 En 2002, avec un marché totalement libéralisé, les Etats-Unis ne devaient plus payer que 23 cents au Sénégal pour une minute de trafic au lieu de 1,8 dollars auparavant. Pourtant, le déficit des Etats Unis pour le trafic international est largement dû à leurs opérateurs qui proposent aux abonnés du monde entier des solutions illégales dans la plupart des pays, le rétro appel, (call back) et le re-routage (passage de la communication par un pays tiers).
L'idée des Etats est de gérer l’accès universel par un fonds alimenté par l’ensemble des opérateurs et alimenté par les ventes de licences ? Et on compte peu sur la taxe de répartition qui n'aura plus lieu d'être dans cinq ans quand se généralisera la téléphonie sur le réseau Internet qui ne coûte que le prix de la communication locale. De tels systèmes existent, sont déjà commercialisés plus ou moins légalement, mais sont encore peu connus. 16 Ils se développeront quand il sera possible pour un particulier d'appeler depuis un ordinateur sur un simple combiné téléphonique ou de le faire entre deux appareils téléphoniques.
Un fonds international pour réduire le fossé numérique ?
Dans la logique dominante “ trade not aid ” le secteur privé n’a aucune raison de s’implanter sur les marchés tant qu’ils n’ont pas atteint une taille critique de solvabilité, ce qui demande souvent un soutien public. Mais le secteur public en Afrique serait trop pauvre pour assurer une accessibilité universelle, (ce que la Sonatel infirme puisque le développement des réseaux et des télécentres n’avait pas attendu la privatisation et que la Sotelma aussi mal en point soit est capable de beaucoup investir)
Depuis que Nelson Mandela a exhorté les pays riches à un partenariat, chaque organisme intervenant a conçu son propre projet NTIC, qui sur l’éducation de base ou l’université, qui sur les catégories les plus défavorisées sans coordination. Les choix dépendent des donateurs ou prêteurs, et comme dans d’autres domaines les populations sont priées de participer.
C’est ainsi que les pays du G8 ont mis la question de la fracture numérique à leur ordre du jour à Okinawa en juillet 2000 et ont, pour la première fois, associé à leurs débats des représentants des entreprises et aussi de la “ société civile ”. Une “ task force ” a été créé avec des antennes dans chaque pays. Des propositions ont été faites en particulier en Europe celle de créer un fonds public (sorte de taxe Tobin) alimenté par un prélèvement sur l’activité du secteur des NTIC. Un an après l’impression dominante était que le lobby marchand américain dominait sans grande opposition de la part d’une Europe désunie et que cette proposition a peu de chances d’aboutir.
Il est très significatif que dès l'adoption d'une charte dans laquelle les pays riches se sont engagés à réduire le fossé par diverses actions, la firme américaine Cisco, premier opérateur mondial de réseau en terme de capitalisation boursière en 2000, ait pris l’initiative, avec l’appui de la famille des Nations Unies, d’ouvrir des centres de formation dits “ académies Cisco ” dans une dizaine de pays africains . C'est à travers une fondation (NETAID) qui a pour objectif ultime de contribuer à la lutte contre la pauvreté que s'insère ce partenariat. Une autre manière pour cette société d’affirmer son hégémonie, un exemple d’une nouvelle collusion entre public et privé sous prétexte d'humanitaire. 17
A l’échelle locale : un mode d’appropriation des NTIC adapté à la faiblesse des revenus
Dans les milieux privilégiés des grandes villes, Internet est comme ailleurs un outil extraordinaire d’ouverture sur /et de participation au/ savoir mondial par les informations de toutes natures qui s’y trouvent. Les grandes entreprises, les organismes liés à l’international sont branchés mais rares sont les étudiants ou même les enseignants qui ont les moyens de s’offrir un ordinateur personnel et le coût de la connexion, un budget qui représente de sept à 15 fois selon les pays le revenu moyen annuel. Les coûts très élevés en Afrique incitent à créer des accès collectifs et l’appropriation des NTIC se fait ainsi à l’inverse du modèle dominant des pays riches ; l’accès collectif est une caractéristique de ce que l’on peut appeler un modèle africain de l’appropriation des technologies de la communication, à laquelle s’ajoute l’approvisionnement en outils d’occasion. Il donne lieu à une prolifération d’espaces de taille diverse : -petit tablier sur le trottoir où se loue un téléphone mobile, - kiosque pour un téléphone fixe, - multiples télécentres équipés de plusieurs postes téléphoniques, petites boutiques à services divers dont un ou deux ordinateurs connectés, - vastes centres high tech. Ils sont les nouveaux marqueurs du paysage urbain.
Ces espaces sont majoritairement aux mains d’opérateurs privés. Un tissu de petites entreprises se crée en priorité dans les grandes villes tandis que les accès communautaires ou associatifs qui ont été financés par la coopération internationale comme celui de Tombouctou, peinent à trouver leur « modèle économique » quand il faut s’auto financer. Que ce soit au Botswana en Ouganda au Sénégal au Burkina Faso ou au Mali, les télécentres communautaires s’avèrent difficilement rentables et ne se différencient pas des boutiques privées qui offrent la connexion à des prix de plus en plus bas. Ils ont tendance à être relégués dans les espaces urbains périphériques des mégalopoles et dans les villes secondaires.
Dans le centre ville de Dakar le Plateau, le nombre de cyber cafés s’est considérablement accru depuis l’ouverture du premier en 1996 et les établisements « high tech » aux mains de grandes sociétés dominent. on compte 13 cyber centres sur le Plateau dont huit appartiennent à de grands groupes. Dans les autres quartiers les petits établissements ont proliféré mais après une période d’euphorie en 2000 et début 2001, beaucoup n’ont pas survécu tant la concurrence est rude.
A Ouagadougou on ne peut faire 500 m sans trouver un télécentre et 1500m sans trouver un petit cyber café (2 à 3 postes connectés)1818 Sylvestre Ouedraogo, Africanti-liste, message du 16 juillet 2002.. Les cybercentres sont des micro-entreprises que l'on crée sans souvent disposer des compétences requises et avec du personnel formé sur le tas et très mal payé. Ils sont devenus une affaire du secteur "informel" et qui dit secteur informel dit réduction des coûts, créativité mais aussi fragilité. Les centres associatifs seulement dédiés à l'Internet ont des problèmes parce que le secteur informel casse les prix et compense dans d’autres services, ventes de matériels, photocopie, photographie. On ne peut même plus parler de prix élevé de l'Internet dans les grandes villes parce qu’ils sont au dessous des coûts de production (en moyenne 2 euros par heure au Burkina et même souvent moins(1 euro et demi). Un projet d’accès communautaire dans les grandes villes n'est plus digne d'intérêt car le secteur des petits accès comme les télécentres, la vente et la réparation des téléphones portables répondent à la forte demande d'accessibilité et de proximité de la population.
Au Togo, la téléphonie sur Internet est un des services qui avait permis aux cybercafés de s’assurer, pendant un certain temps, des recettes importantes. Mais ce n’est plus le cas, car Togo Télécom a faussé le jeu de la concurrence en accordant des licences à seulement cinq sociétés qui doivent payer 192 millions de Francs CFA avec l’obligation d’avoir des équipements de télécommunications neufs. Finalement personne n’a exploité ce marché car la mise de base est onéreuse et risquée. Ainsi, les services dans les cybercafés sont de plus en plus réduits et les promoteurs, avec des marges réduites, connaissent des difficultés pour assurer leur viabilité.
Le secteur des NTIC est donc fortement créateur d’emplois actuellement pour des centaines de jeunes (médiation dans les cyber, vente et réparation de téléphones portables, vente des cartes de recharge téléphonique et même services de recharge électrique). Mais il est fragile car se pose le problème de la maintenance et du renouvellement du matériel et des logiciels, problème récurrent en Afrique, particulièrement aigu en ce domaine qui fait que la mortalité de ces établissements est élevée.
Internet pour le développement ?
Il est extrêmement difficile de mesurer l’impact social des outils d’information. Les obstacles structurels demeurent mais les formes d’utilisation sont multiples et les publics se sont diversifiés : pour l’usage du courrier dans des relations amicales et familiales qui reste dominant, les recherches, études, bourses, inscriptions, documentation, la téléphonie, le chat, les commandes, etc., les étudiants ne sont plus les seuls comme au début à fréquenter les cyber centres. Etudiants, chercheurs, médecins, commerçants, enseignants, y vont pour communiquer et s’informer.
L’obstacle de l’analphabétisme est il pour autant surmonté ? Internet est un media de l’écrit et la vraie révolution des NTIC en Afrique ne concerne pas Internet mais le téléphone mobile présent désormais dans toutes les couches de la société.
Dans la vie économique, Internet présente des affinités avec les réseaux sociaux ceux en particulier sur lesquels sont basés les grands courants commerciaux africains. Par exemple les réseaux de la confrérie mouride au Sénégal utilisent encore davantage le net pour faire du prosélytisme religieux que pour leurs affaires. Depuis 1999, leurs sites assurent une couverture mondiale au « Grand Magal », la rencontre annuelle dans la ville sainte de Touba.. De même en Italie de nouvelles communautés se sont crées en partie grâce à Internet. “ On ne part plus ” affirme un commerçant opérant sur le grand marché de Sandaga à Dakar. Les importateurs qui travaillent avec Taiwan et Hong Kong sont pour la plupart analphabètes ; ils doivent partir deux mois en Asie pour faire réaliser les modèles des objets à fabriquer là bas pour leur clientèle. Désormais ces commerçants sont de plus en plus nombreux à faire appel à de petites sociétés de service qui vont utiliser le scanner et envoyer images et bons de commandes par Internet en pièces jointes. Les coûts des transactions sont ainsi considérablement réduits. Les membres des puissantes associations de femmes entrepreneurs de l’Afrique de l’Ouest se branchent à la toile mondiale depuis deux ans. Au Cameroun leur but est de fournir les produits africains à la diaspora ; leur site va devenir une véritable galerie commerciale qui permettra d’éviter des voyages en Asie et d’avoir des informations sur les opportunités d’achat. Des sites de e commerce naissent ainsi pour des échanges avec l’extérieur mais ceux entre les régions sont plus difficiles. Le monde rural est encore peu branché bien que les ONG s’en préoccupent et la radio reste un média essentiel. Quand les radios locales sont associées à la presse périodique comme dans le groupe Sud ou Wal Fadjiri au Sénégal et qu’elles ont une liaison Internet et répercutent les nouvelles en langues locales, elles deviennent des outils très efficaces de diffusion de l’information voire de formation. La recherche de la convergence entre informatique audio visuel et télécommunications devrait être davantage développée en particulier dans les programmes d'équipement des communautés rurales.
Conclusion
Internet pénètre donc les sociétés africaines mais de manière encore trop diffuse pour que son impact soit globalement remarquable. Il induit surtout un mouvement d'extraversion. Les actions volontaristes des projets de promotion des usages visant à mieux relier entre eux les acteurs locaux ne sont pas encore très probants, c’est le lien avec l’extérieur qui prime avec des effets à la fois positifs et négatifs ; opportunités d’affaires, mais acculturation et frustration des jeunes qui rêvent de quitter leur pays. Nos analyses ont révélé une distorsion entre le volontarisme de projet et la réalité du fonctionnement socio-économique ; un fonctionnement qui ne se circonscrit pas aux frontières nationales mais englobe les réseaux de ressortissants dispersés des diasporas qui trouvent dans la toile un moyen pour mieux participer à la vie politique et économique de leurs pays. Le renforcement des liens avec les diasporas est sans doute l’effet le plus positif et prometteur d’Internet en Afrique.
On peut se demander aussi si les formes classiques de découpage du pouvoir et du territoire, l’Etat moderne, les organisations internationales, n’ont pas perdu de leur consistance avec l’insertion des nouvelles technologies de la communication. Les Etats jouent toujours un rôle dans le déploiement des réseaux d’accès mais n’est ce pas un rôle de figurant tant leur pouvoir réel et leur marge de manœuvre tendent à se réduire. ; dans un monde "sans frontière" l'Etat serait selon l’expression de l’ex Ministre de la culture du Mali, “ pris en étau ” 1919 Voir Annie Chéneau-Loquay, "Créer un portail global sur le développement ?" et "L'Etau, l'Afrique dans un monde sans frontière", par Aminata Traore, Actes Sud 1999. entre les directives contraignantes de la Banque Mondiale et du FMI, la domination des Etats Unis et de la France, l’absence de maîtrise technologique et aussi pour beaucoup financière, les appétits des opérateurs privés et la pression du « secteur informel ». Alors l’avenir de l'Afrique est-il dans la multiplication de zones géographiques où l'Etat est totalement absent mais qui fonctionnent ? Va-t-on vers des formes socio-spatiales à la « zaïroise » ? La mondialisation dont les NTIC sont les vecteurs, a fourni aux acteurs économiques et politiques un large éventail d'opportunités nouvelles qui leur permettent d'agir en dehors des lois et des systèmes de régulations et aussi d'engendrer de nouvelles relations entre eux. Il reste cependant que quelques soient les lacunes du système c'est dans les pays où l'Etat fonctionne "le mieux" que les NTIC progressent le plus et où l'on parvient à un réel maillage du territoire par les réseaux de communication.
A.CH.L.
Notes:
1 relayant celui des chantres occidentaux des années 1980-90 (Al Gore, Negroponte, Pierre Levy, De Rosnay)
2 voir "Les mots du pouvoir, sens et non sens de la rhétorique internationale", Gilbert Rist (dir), cahier 13 de l'IUED. "Affirmer que le monde est désormais entré dans "l'ère de l'information"
3 Dans le cas de l'Afrique le discours développementaliste porté par ces organismes a trouvé avec le thème des NTIC une nouvelle jeunesse, leur idéologie neo classique du progrès linéaire s'en empare pour inciter les Etats réticents à plus de libéralisme. Le discours sur la révolution du troisième millénaire, suit la ligne de certains auteurs médiatiques et tout d'abord du vice président des États Unis Al GORE sur une infrastructure globale de l'information4. La Banque Mondiale en 1995 prend des accents lyriques pour inciter à : "la révolution de l'information qui offre à l'Afrique une opportunité dramatique de bondir dans le futur, de rompre des décades de stagnation et de déclin. L'Afrique doit saisir rapidement cette chance. Si les pays africains ne parviennent pas davantage à tirer avantage de la révolution de l'information et à surfer la grande vague du changement technologique, ils seront submergés par elle. Dans ce cas, ils risquent d'être encore plus marginalisés et économiquement stagnants dans le futur qu'aujourd'hui"5.
4 Sakido-Fukuda Parr, « Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain », Présentation du rapport du PNUD 2001, in Haut conseil à la coopération internationale, biens publics mondiaux et coopéraétion internationale, nouvelle stratégie pour de nouveaux enjeux, Paris Karthala 2002, p 96-107.
5 Marc Malloch Brown, administrateur du PNUD, préface du rapport 2001.
6 Gilbert Rist montre comment on retrouve dans ces discours les vieux thèmes chers aux religions du salut. Gibert Rist, le texte pris aux mots,
7 Voir l'article de Gene Roechlin, Pris dans la toile, 1995.
8 Les Etats Unis utilisent leur pouvoir au sein des institutions financières internationales pour transformer en particulier la Banque Mondiale en agence mondiale de développement mettant ainsi en péril les agences de développement des Nations Unies. Le budget du PNUD est passé de 1,2 milliard de dollars à 700 millions en quelques années. Tavernier Y. 2000, Fonds Monétaire et Banque Mondiale, vers une nuit du 4 août ? Les documents de l'Assemblée Nationale, n°2801, 2000.
9 Toute entreprise disposant d’une infrastructure ferroviaire, routière, toute entreprise gérant des réseaux physiques peut se lancer avec des chances raisonnables de succès dans la fourniture d’infrastructures téléphoniques en complément de ses propres infrastructures. En France, les exemples sont nombreux (SNCF, RATP, Lyonnaise des Eaux, Compagnie Générale des Eaux, Sociétés d’autoroutes,...). Aux Etats Unis, 1800 structures (de quelques salariés à des structures ayant plus de 100000 salariés) offrent un service téléphonique sur le marché intérieur.Jean MARCHAL, "Les nouveaux réseaux, in CDROM internet au Sud, 1999.
10 Pour plus de détails voir nos articles, Nord Sud, quelle Afrique dans une société de l’information mondiale, et Les nouveaux territoires de la téléphonie mobile (Chéneau-Loquay 2001)
11 “ In technology leapfrogging the extent of the leap is in inverse proportion to the technological inertia carried along. The push should therefore be for the cutting edge. The latest technology should be used in building new infrastructure. African countries will thus leapfrog several stages and decades in the IT development process. In doing so, they will learn from the experience of more advanced countries the ways and means of providing the greatest social benefits to a large fraction of the population while avoiding any unpleasant side effects. ” par S. Yunkap Kwankam [email protected],N.NtomambanNingoUniversity of Yaounde I Cameroon
12 Présentation de RASCOM lors de la Conférence sur la connectivité globale en Afrique, Addis Abeba, 2-4 juin 1998.
13 www.villageleap.com, Le Monde 9 juin 2001
14 Au Sénégal l’Etat français puisque France Telecom est encore une société nationale.
15 "Pour une fois la pauvreté payait… Recevoir des appels internationaux était pour certains leur plus importante industrie "d'exportation" : en 1996, ces pays recueillaient quelques 10 milliards en devises extérieures." (Deane J. 2000 in Enjeux op cit). Voir aussi Quéau Philippe, "Les termes inégaux de l'échange électronique", Le Monde diplomatique, février 1999, p 16.
16 Net2phone commercialisé au Sénégal permet à tous les utilisateurs d’Internet d’appeler n’importe où dans le monde à partir de son PC à un coût qui représente jusqu’à 80% de moins que les coûts de communications internationales classiques.
17 source : [email protected], n°11, janvier 2001 ONG ORIDEV du Bénin (www.oridev.org)
18 Sylvestre Ouedraogo, Africanti-liste, message du 16 juillet 2002.
19 Voir Annie Chéneau-Loquay, "Créer un portail global sur le développement ?" et "L'Etau, l'Afrique dans un monde sans frontière", par Aminata Traore, Actes Sud 1999.
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* AFRICA’NTI est à la fois un programme et un réseau de recherche et d’expertise soutenu par le CNRS, dont l’objectif est d’analyser les modes d’insertion les usages et les impacts des technologies de la communication dans les pays des Suds à différentes échelles, des stratégies internationales aux usages locaux. Créé dans l’Unité Mixte de Recherche CNRS/IRD REGARDS en 1998 par une chercheur(e) du CNRS, Annie Chéneau-Loquay, il fait partie désormais du Centre d’Etudes d’Afrique Noire de l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux. AFRICA’NTI compte aujourd’hui une vingtaine de chercheurs d’horizons scientifiques divers (géographes, économistes, informaticien, juristes, philosophe, sciences de l’information et de la communication, sociologue) et d’horizons géographiques variés. La liste de discussion du réseau Africanti-L compte une cinquantaine de participants en novembre 2002 en Europe, en Amérique Latine et dans douze pays africains. AFRICA’NTI bénéficie d’un financement du Ministère des Affaires Etrangères français et d’un soutien de l’Agence Intergouvernementale de la francophonie, pour diverses actions en particulier pour l’organisation annuelle des rencontres d’AFRICA’NTI au cours de l’Université d’été de la communication d’Hourtin. AFRICANTI organise un colloque international sur « les fractures numériques nord-sud, quels enjeux, quels partenariats les 31 mars 1 et 2 avril 2003 à Bordeaux. Pour en savoir plus, voir le site http://www.africanti.org.