La consolidation des fondements
éthiques et des orientations
startégiques du NPDA
Deux conditions
majeures de la
réussite
Jean-Pierre Foirry
Le NEPAD a pour ambition majeure de servir de levier (et de levain) pour réaliser le décollage des pays africains et leur permettre de sortir du sous-développement dans lequel la plupart d’entre eux s’enfoncent depuis quelques décennies.
Le concept de sous-développement a été inventé par Truman en 1949 pour caractériser la situation de pays connaissant un niveau de PNB par habitant très faible. A l’époque, la question du sens à donner au mot « développement » ne se posait pas. Le développement des pays en développement était une affaire de rattrapage de niveau de vie et avant tout une affaire économique. Le développement était alors ramené à la croissance matérielle et exprimait l’espoir de progrès matériel et d’expansion à l’échelle mondiale d’un type de société fondé sur l’accumulation du capital. Cette affaire économique semblait pouvoir se régler de deux façons complémentaires dans les années 1950 à 1970: l’ouverture internationale et l’insertion dans l’économie mondiale sur la base d’avantages naturels mieux utilisés ; l’aide internationale pour favoriser le décollage appelé « take-off » (phase de développement durant laquelle les sphères économiques, politiques, techniques et sociales sont « révolutionnées ») et pour accélérer le passage de la société traditionnelle à la société moderne.
A cette époque tout le monde n’a pas suivi avec rigueur les deux principes, mais la plupart des pays ont entrepris peu ou prou des grands programmes de modernisation de leurs structures. Si certains ont appliqué à la lettre les deux principes, d’autres ont choisi des voies différentes. Certains pays ont préféré des politiques plus protectionnistes et plus axées sur la substitution à l’importation que sur l’ouverture et l’insertion dans la division internationale du travail. D’autres pays ont choisi une voie plus socialiste en imposant des programmes publics d’industrialisation forcée. Beaucoup de pays se sont occupés plus de la modernisation économique que de l’évolution des autres structures et des mentalités comme si celles-ci allaient suivre forcément le cheminement économique.
Durant ces décennies, la plupart des pays en développement ont connu des évolutions prometteuses et certains d’entre eux ont même rattrapé une partie de leur retard de développement économique. A cela, trois raisons majeures :
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une croissance mondiale soutenue masque la fragilité de la croissance de pays qui vivent d’avantages naturels « régressifs » : matières premières et travail non qualifié
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une concurrence vive entre les deux blocs (capitaliste et communiste) fait l’affaire des pays en développement qui parviennent alors à profiter de cette rivalité et à faire entendre la voix du « Tiers-monde » sur la scène internationale
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un enthousiasme spontané de jeunes nations devenues indépendantes dont la plupart des pères fondateurs ont une légitimité qui leur permet de mettre en place des dictatures bienveillantes et des Etats structurés.
Depuis cette période, beaucoup d’événements se sont produits : l’écroulement des pays du bloc communiste, la mondialisation croissante, la crise des années 1970 et le besoin d’ajustement économique dans la plupart des pays du monde, l’exception démographique et la montée de la pauvreté dans les pays africains.
Dans le contexte actuel, si le problème de fond (le sous-développement) demeure, les stratégies de développement doivent être adaptées : il s’agit de promouvoir tant le développement humain et la réduction immédiate de la pauvreté que la croissance économique durable et de favoriser le passage des sociétés traditionnelles et modernes à des sociétés post-modernes dans un contexte de mondialisation et de complexité croissante des systèmes économiques.
Si le NEPAD se distingue assurément de ses prédécesseurs (Programmes d’Ajustement Structurel, Plan de Lagos,….), il ne nous paraît pas encore assuré de succès pour permettre cette entrée ambitieuse et volontariste des sociétés africaines dans la post-modernité et dans le développement accéléré.
Au vu du bilan des programmes antérieurs et sur la base de ce qui est actuellement en œuvre dans les différents pays africains, il nous semble que la visibilité, la crédibilité et l’utilité du NEPAD seraient grandement augmentées si les caractéristiques originales du NEPAD étaient renforcées et s’inscrivaient dans un cadre historique, analytique, éthique et opérationnel capable de réunir les acteurs nationaux et les partenaires autour de ce qui est le thème majeur des Programmes Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (PRSP) nationaux africains : comment passer d’une croissance faible, instable et accompagnée d’une augmentation de la pauvreté à une croissance forte, durable et immédiatement réductrice de pauvreté et d’inégalités 11 pour cette partie, nous nous appuyons sur J.P. Foirry et B. Top (voir bibliographie) ?
Nos propositions pour opérationnaliser le NEPAD et assurer sa réussite seront articulées autour de deux thèmes majeurs : d’abord, consolider ses fondements éthiques et analytiques ; ensuite, clarifier ses orientations stratégiques en prenant un grand exemple, celui de la santé.
Consolidation des fondements éthiques et analytiques du NEPAD
Nous présentons ci-après trois axes de réflexion en vue de consolider les fondements éthiques et analytiques du NEPAD :
- Favoriser l’appropriation nationale du NEPAD, s’appuyer sur les programmes en cours dans les pays et appliquer explicitement des principes de subsidiarité, d’expérimentation et d’équité
Nombre de politiques et stratégies de développement sont peu efficaces et cohérentes parce que, sous l’influence des acteurs influents et des groupes de pression, on ne soucie que d’accroître les ressources financières à court terme au lieu de partir d’objectifs réalistes de résultats à moyen terme et de rechercher la meilleure combinaison d’interventions pour l’obtenir au coût minimum.
Les tables rondes internationales consacrées au NEPAD seront-elles seulement l’occasion de financements parallèles supplémentaires comme l’ont par exemple été des tables rondes consacrées aux Pays les Moins Avancés (PMA) en marge des processus en cours (les PAS, puis les PSRP) ? Pour prendre un exemple, celui de l’éducation, va-t-on se retrouver dans un pays avec une initiative de plus venant se surajouter à un document prospectif (horizon 2020 ou 2025), à un rapport décennal (appelé RESEN 22 Rapport d’Etat sur le Secteur de l’Education Nationale : voir les sites Internet de la Banque Mondiale et de l’UNESCO), à un Plan stratégique (5 ans) et au PSRP triennal glissant ?
Le NEPAD n’a de justification que s’il prend en compte explicitement les programmes et les processus nationaux en cours et s’il sert à optimiser les processus nationaux d’élaboration et d’exécution des PSRP, en particulier :
-promouvoir une vision positive du développement africain et favoriser le passage à des Etats de droit et à des sociétés de confiance
-distinguer les actions à mener aux quadruples niveaux mondial, continental, régional et national
-aider à réaliser les PSRP en mettant en synergie ceux d’une même région, en favorisant les actions de complémentarité et les économies d’échelle, en mobilisant des financements et en faisant évoluer si nécessaire les PSRP par le développement de la réflexion supranationale (notamment sur les deux thèmes précédemment évoqués : pauvreté, croissance et mondialisation ; gouvernance, équité et développement).
Au plan national, le Millénaire comme le NEPAD doivent avoir comme effet principal de mieux mettre en cohérence long, moyen et court terme, autrement dit de rendre plus utiles les études prospectives nationales existantes et plus fondamentaux les changements stratégiques à la base du passage des PAS aux PSRP.
La seule façon de ne pas répéter les erreurs du Plan de Lagos avec le NEPAD consiste à utiliser les études prospectives nationales pour appliquer des recommandations ou orientations se situant à des niveaux généraux (mondial ou continental).
D’une vision à long terme mondiale ou continentale, il n’est pas possible de passer à une opérationnalisation nationale sans l’intermédiaire d’une vision nationale à long terme : les nombreux pays qui ont déjà une Etude Nationale Prospective à Long Terme (ENPLT) sont donc plus avancés que les autres et ont juste comme tâche de mettre en harmonie les processus et éventuellement d’actualiser les études ; les autres pays doivent dès maintenant se lancer dans la confection de leur vision nationale et à considérer tout de suite l’ENPLT comme la recherche d’un scénario souhaité parmi les possibles qui résulte à la fois des orientations générales du NEPAD et des aspirations des populations.
L’horizon du Millénaire et du NEPAD (10 à 15 ans) est là aussi pour nous rappeler l’importance de l’horizon décennal comme mi-chemin entre très long terme et court terme : la réalisation des objectifs du Millénaire s’inscrit dans les orientations stratégiques des ENPLT et seule l’approche multidimensionnelle et nationale des ENPLT permet de leur donner vie et consistance.
Finalement, le NEPAD est utile s’il permet à chaque pays de définir un cheminement à la fois enthousiasmant et réaliste à horizon décennal dans lequel s’inscrit son PSRP et s’il définit les actions aux échelons supérieurs à réaliser pour assurer la réussite et la transformation des PSRP.
Si le NEPAD met l’accent à juste titre sur les avantages que peuvent tirer les pays de l’intégration régionale, il doit aussi promouvoir les principes d’une coopération et d’une intégration réussie : subsidiarité, expérimentation et équité. Subsidiarité : ne faire à l’échelon supérieur et par le secteur public que ce qui ne peut pas être fait et bien fait à l’échelon inférieur et par le secteur privé. Expérimentation : promouvoir et diffuser les expériences pilotes prometteuses et réussies. Equité : favoriser le rattrapage progressif des pays et régions les plus pauvres de chaque zone d’intervention pour que la coopération profite à tous.
Le NEPAD a le mérite d’être une initiative africaine alors même que les PSRP, pourtant supposés faire l’objet d’une appropriation nationale importante, paraissent encore largement influencés par les Institutions de Bretton Woods.
Pour chaque pays, tenant compte des capacités d’absorption et de la soutenabilité financière et macroéconomique des programmes, le NEPAD peut être l’occasion d’orienter la réflexion stratégique et les partenariats vers les deux points suivants :
-financer quelques priorités nationales quel soit le prix (l’éducation et le capital social, la gouvernance et le cadre institutionnel, les services essentiels,….)
-aider à élaborer et réaliser, dans les secteurs clés, des stratégies sectorielles décennales qui vont servir à utiliser les fonds nouveaux liés à la réduction de la dette et à adapter les PSRP.
Favoriser une croissance forte et un développement humain durable dans un pays pauvre est forcément aller à l’encontre des avantage comparatifs statiques et de la dynamique pure des marchés. C’est l’occasion évidemment de choisir une combinaison réussie d’efficacité économique (que seuls permettent le marché, la liberté d’entreprendre, la concurrence) et de justice sociale (que seul permettent des mécanismes de redistribution ou de protection envers les plus pauvres et vulnérables).
Le NEPAD ne peut réussir que s’il développe une démarche prospective et socioéconomique qui prend explicitement du recul par rapport à une approche économique et néoclassique longtemps dominante.
La démarche éthique sous-jacente au NEPAD s’apparente au libéralisme social. 3
Le libéralisme social s’oppose à une approche purement utilitariste car selon cette démarche, une société juste n’est pas seulement une société qui vise le plus grand bonheur du plus grand nombre, mais aussi une société qui défend à la fois l’égal respect pour toutes les conceptions « raisonnables » de la vie bonne et l’égale possibilité pour chacun de les réaliser. Les deux principes majeurs sont les principes d’égale liberté et d’égalité équitable des chances. La liberté pour n’être pas seulement théorique implique un minimum de droits pour tous.
Si des inégalités liées aux activités, qualités et dynamisme relatifs des uns et des autres sont évidemment justifiées, un minimum doit être garanti pour tous. le financement des priorités nationales quel soit le prix inclut autant des dépenses sociales de base (accorder des droits aux pauvres) que des dépenses institutionnelles prioritaires.
Dans le cadre d’une éthique libérale-sociale, il s’agit de favoriser le passage d’une société de méfiance à une société de confiance et d’investir massivement dans l’éducation et dans le capital social.
L’histoire du concept de capital social s’apparente à l’histoire du concept de capital humain. Lorsque la notion de capital humain a été employée historiquement dans le secteur de l’éducation, elle a paru abstraite et non opérationnelle et pourtant aujourd’hui, elle inspire en partie les politiques d’éducation : l’éducation doit permettre une certaine « employabilité » des personnes éduquées. Les travaux actuels sur le capital social sont encore balbutiants, mais ils montrent clairement que le capital social (la confiance, l’éthique, les normes, les réseaux,…) favorise la croissance et le développement. Concrètement, ces travaux renforcent les idées de bon sens qu’il faut agir pour lutter contre la corruption ou pour améliorer les systèmes juridiques et les institutions.
Le concept de capital social va plus loin que celui traditionnel de gouvernance car il prône le changement de langage et le passage de l’homo economicus égoïste et stratégique à l’homo sapiens capable de bienveillance, de passion, de solidarité. L’intérêt égoïste peut ne pas être l’unique moteur rationnel des conduites humaines et s’oppose à ce que Orwell appelait la « common decency » qui s’apparente à l’infrastructure morale d’une société à la fois efficace et juste.
La réussite économique et sociale exceptionnelle de la socialité moderne dans certains pays développés est venue de la synergie entre la « common decency » (socialité basée sur l’obligation sans réciprocité : disposition apprise et intériorisée au civisme, à l’urbanité, à la conscience professionnelle, à la possibilité d’actes désintéressés,..) et l’économie de marché (laissez-faire,….). Le capital social représente les normes, conventions, mentalités qui aboutissent à un comportement allant de soi et qui minimisent les coûts de transaction et de fonctionnement du marché tels que les anticipations croisées des uns sur les autres (les « prophéties autoréalisatrices ») sont positives et favorisent un jeu gagnant–gagnant.
Il est important dès lors non seulement d’investir dans le capital social, mais aussi de promouvoir le passage d’anticipations négatives à des anticipations positives, bref de changer l’état d’esprit des acteurs du développement.
Il y a une relation positive entre formation et comportements au point que dans les expériences d’économie expérimentale, les personnes formées à l’économie néoclassique sont plus stratégiques et égoïstes que les autres. Dès lors, enseigner les valeurs qui sont à la base du capital social est fondamental. Le vocabulaire pessimiste des néoclassiques (rareté, égoïsme, cynisme, méfiance, aléa moral, passager clandestin, sélection adverse, rendements décroissants, nuisances, boucs émissaires, résignation, corruption,….) ne doit pas être exclusif et peut être contrebalancé par un langage mobilisateur (confiance, coopération, partenariat, capital social, économies d’échelle, rendements croissants, externalités positives, productivité, justice, intégration régionale, bonne gouvernance,….).
Anticipations négatives
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Anticipations positives
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Equilibre de sous-développement
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Equilibre de croissance durable
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Autoréalisation de prophéties de la rareté
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Autoréalisation de prophéties de croissance
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Jeu à somme nulle ou décroissante : exacerbation des conflits et corporatismes, instrumentalisation des frustrations
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Jeu à somme positive : favorise le développement des initiatives privées et permet la réduction de la pauvreté
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Réalisation faible des facteurs clés de la croissance endogène
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Synergie entre facteurs clés de la croissance endogène
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Etat faible et défaillant
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Etat de droit : leadership et gouvernance
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Ressources humaines fragiles
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Ressources humaines renforcées
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Faibles économies d’échelle
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Fortes économies d’échelle
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Rendements décroissants
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Rendement croissants
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Valeurs principales : pessimisme, fatalisme, méfiance, cynisme, boucs émissaires
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Valeurs principales : confiance, optimisme, capital social, justice
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Avantages comparatifs statiques
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Avantages comparatifs dynamiques
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Ajustement par le bas
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Ajustement par le haut
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La différence entre l’ajustement par le bas et l’ajustement par le haut s’apparente à la différence observée dans les stratégies des entreprises des pays industrialisés entre la « lean production » et la « team production ». Dans le premier cas, les entreprises pratiquent une prise de décision centralisée avec expertise extérieure à l’entreprise et cherchent à augmenter leurs profits principalement par la réduction des coûts : réduction des coûts de main d’œuvre, sous- traitance, licenciements, délocalisations, marginalisation des syndicats,….. Dans le deuxième cas, les entreprises pratiquent une prise de décision décentralisée avec des modes d’organisation innovants et cherchent à augmenter leurs profits principalement par la croissance de la productivité des facteurs de production : responsabilisation et travail en équipe, incitations suffisantes et objectifs de performance, formation et participation.
Il est important de souligner que le NEPAD ne conduit pas à privilégier une approche par les besoins (évidemment illimités) au détriment d’une approche par les ressources limitées (financières, humaines,….). Le libéralisme social incite à définir une vision multidimensionnelle positive du développement à long terme et une sortie vers le haut de la gestion à court terme des déficits, mais le cheminement qui doit aboutir à un tel résultat implique par définition une hiérarchisation des actions et projets à entreprendre, donc une analyse économique rigoureuse.
Par exemple, l’esprit qui doit présider aux réformes budgétaires et de gouvernance implique à la fois un raisonnement rigoureux sur la justification des interventions publiques et sur la résorption de tous les obstacles à l’efficacité du secteur public : si les salaires des fonctionnaires sont jugés trop bas, cela ne signifie pas qu’un fonctionnaire de pays pauvre doit tout de suite obtenir des avantages équivalents à ceux observés dans un pays plus riche, mais que le système de gestion du personnel doit être bon et que le revenu du fonctionnaire doit se définir de façon raisonnable par rapport au PIB par tête et par rapport au revenu du secteur privé dans le pays considéré.
Le calcul économique qui sert à la priorisation des actions et des projets doit partir des bonnes questions et doit présenter explicitement les modes de rationnement possibles.
Par exemple, dans le secteur de l’éducation, le mouvement vers la scolarisation primaire universelle à un horizon décennal peut se faire de plusieurs façons : en mettant ou non l’accent au départ sur la quantité plus que sur la qualité ; en favorisant ou non le secteur privé pour économiser les ressources publiques rares ; en intégrant ou non au départ un objectif d’équité sachant que sur la base de l’universalité tous les enfants sont supposés scolarisés à l’horizon décennal. Naturellement, l’éducation est un système et augmenter les financements du secteur primaire implique une augmentation des financements hors du secteur primaire (éducabilité pour les entrants venant du secteur pré-primaire ; passage en secondaire ou/et employabilité plus capital social pour les sortants).
Autre exemple majeur : celui de la santé pour lequel à l’horizon décennal il est possible d’envisager la réalisation d’un paquet de services primaires pour tous. Que faire de plus ? Derrière toute évidence technique, il y a des valeurs. Ne pouvant fournir tous les services à tous les individus, il faut choisir un mode de rationnement : faut-il rationner les individus en privilégiant ceux qui contribuent à la production (approche du capital humain), en privilégiant la santé infantile et maternelle (approche coût-utlilité en termes d’années de vie sauvées), en privilégiant ceux qui peuvent payer (paiement par les usagers) ou bien faut-il rationner les services en privilégiant les services de base des populations (approche du district sanitaire), en privilégiant les services d’hospitalisation secondaire (approche de mutualisation couvrant les frais d’évacuation et d’hospitalisation), en privilégiant des services plus coûteux (assurance spécialisée, budget ARV Sida, budget évacuations,… ) ?
Le NEPAD peut être une chance pour l’Afrique à condition d’être consolidé et opérationnalisé en tenant compte explicitement du bilan du passé et des projets nationaux actuels. Les idées et les projets dans les différents domaines jugés prioritaires par le NEPAD doivent être mis en relation avec les efforts actuels des acteurs nationaux et des partenaires pour appuyer si nécessaire les stratégies et les programmes de développement ou les formes de l’aide.
Pourtant, depuis quelques mois, il fait l’objet de nombreuses critiques internes à l’Afrique. On peut diviser en deux catégories les critiques44 voir par exemple le site Internet de la CODESRIA faites au NEPAD depuis sa création : les critiques idéologiques et négatives, les critiques constructives.
Les critiques idéologiques et négatives assimilent le NEPAD aux PAS dont ils dénoncent le « cadre de pensée économique néo-libérale », considérant même que par son orientation libérale (oubliant l’aspect « social »), il risque d’avoir pour effets de renforcer les difficultés liés à l’environnement extérieur et aux faiblesses internes. On a déjà eu l’occasion de montrer que ces critiques étaient peu pertinentes car elles refusaient de prendre en compte la possibilité d’évolution du concept d’ajustement au sein des même des Institutions de Bretton Woods (des domaines financier et économique aux domaines institutionnel et social) et parce qu’elles ne proposaient pas elles-mêmes d’alternatives enthousiasmantes au problème de développement à résoudre, se contentant bien souvent d’arguments du type : « le Plan de Lagos était la solution, mais il n’a pu être mis en œuvre parce que chaque fois qu’une initiative africaine est mise en œuvre, elle est contrée par une initiative développée à l’extérieur du continent et imposée aux pays africains » 55 Déclaration finale, CODESRIA-TWIN (voir bibliographie).
On retrouve ces critiques sous la plume de Jean Ziegler et 6 des journalistes du Monde Diplomatique qui parlent de « douteux partenariat pour l’Afrique " 7 sur la base d’une diabolisation des firmes multinationales, des Etats Unis 8, de l’OMC et du FMI et d’une idée fixe plus que d’une analyse objective des causes de la pauvreté, à savoir que la pauvreté est due au libéralisme et à la mondialisation 9 plutôt qu’à l’absence de réformes de fond concernant l’éducation laïque, l’esprit critique, la tolérance, la confiance, la bonne gestion économique, le droit d’entreprendre, la démocratisation politique, l’éradication de la corruption, l’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté de l’information,…..
Les critiques positives et constructives rejoignent peu ou prou nos observations et portent notamment sur quatre points que nous avons développés :
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mieux tenir compte des critiques et des bilans du passé,
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favoriser davantage l’appropriation nationale des stratégies de développement à long terme,
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consolider le changement, jugé trop «timide», de paradigme et de principes qui inspire le passage des PAS aux PSRP
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plaider pour un modèle de développement et de démocratie correspondant à une vision partagée de l’évolution souhaitable de l’Afrique.
Le NEPAD est explicitement fondé sur l’objectif de rattrapage des pays riches par les pauvres et non sur une solution modeste, souvent idéalisée par ceux qui ne la pratiquent pas eux-mêmes, de «vie pauvre, mais digne et sans insécurité majeure». Un tel objectif suppose une augmentation de financements qui aboutissent à un résultat significatif et soutenable à un horizon décennal. Il implique forcément la recherche d’une croissance forte sans déficits extérieurs durables, donc d’une augmentation de la productivité et de la compétitivité. Il ne se ramène pas toutefois à une politique d’ajustement financier et économique sommaire. Il exprime une vision multidimensionnelle à long terme du développement et de la démocratie sur la base d’une éthique de libéralisme social. Cette éthique implique que le développement ne se limite pas à la croissance et la gouvernance à des problèmes de gestion publique. Elle implique également de renforcer les principes d’application des PSRP.
De façon concrète, le NEPAD peut contribuer à la réussite des stratégies nationales de plusieurs façons :
a) par la réalisation d’activités de planification stratégique, recherche, plaidoyer, information
Point faible actuel : pour le moment, peu d’acteurs et d’observateurs sont capables de définir les contours du modèle de développement et de démocratie à la base du NEPAD et donc de se l’approprier.
Dans ce domaine, le NEPAD peut cependant être la source de plusieurs éléments porteurs :
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la source vive d’un état d’esprit nouveau : l’afro-optimisme et la prise en mains du décollage généralisé et du développement à long terme en Afrique
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l’aiguillon de la réflexion et de l’analyse sur les problèmes et solutions de développement de l’Afrique
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le plaidoyer pour une éthique de libéralisme social et un modèle consensuel et participatif de développement et de démocratie
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le développement des capacités de prospective et d’évaluation dans les pays
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la production et la diffusion des informations
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l’appui au développement des échanges d’idées et d’expériences.
b) par le financement et la production de biens publics mondiaux et régionaux à l’intention des pays africains
Points faibles actuels : des difficultés visibles des Etats africains à articuler leurs intérêts et faire preuve de solidarité financière entre eux ; un manque de financements mobilisés ou mobilisables aux niveaux continental et régionaux ou par dons extérieurs, alors que les programmes d’investissements sont toujours financés en majorité par les prêts de banques de développement (mondiale, africaine, arabes,…) et que l’arrivée d’investissements privés n’est pas imminente.
Cependant, le NEPAD peut permettre d’aller dans plusieurs directions :
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repenser le positionnement de l’Afrique dans la globalisation
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favoriser les projets et programmes d’intégration régionale
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aider à financer et produire, aux niveaux continentaux et régionaux, les biens publics qui dépassent le cadre et les possibilités financières d’un pays pauvre (infrastructures, services coûteux contre les maladies transmissibles, services d’éducation et de formation spécialisés, patrimoine culturel,…..)
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donner l’exemple dans la restructuration des financements visant à minimiser la part des financements par prêts (financements interafricains)
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promouvoir concrètement les principes de subsidiarité, d’expérimentation et d’équité
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accentuer les efforts vers les PMA les plus pauvres pour lesquels le fardeau de la dette devient insoutenable économiquement, déstabilisant politiquement, inacceptable éthiquement et les initiatives PPTE insuffisantes
c) par la stimulation des stratégies et des PSRP nationaux pour leur permettre d’atteindre leur objectif majeur : promouvoir une croissance plus forte, plus durable et plus réductrice de pauvreté dans une optique d’adaptation réussie à la mondialisation et de développement humain durable.
Point faible actuel : la réussite des PSRP n’est pas assurée (pas plus que la réalisation des objectifs du Millénaire pour nombre de pays africains)
Idéalement, la réussite des PSRP devrait conduire à une élimination de la pauvreté absolue, à une convergence des indicateurs humains et sociaux, à l’existence de pôles économiques régionaux, à une développement des échanges extra mais aussi intra-régionaux sur la base d’avantages comparatifs dynamiques (et non statiques et récessifs tels que les produits primaires non transformés ou le travail non qualifié).
Le rôle du NEPAD est de renforcer les PRSP et de garantir leur succès dans les domaines qui sont primordiaux et qui peuvent paraître fragiles sur la base d’une mise en adéquation entre les secteurs d’intervention du NEPAD et les secteurs prioritaires des PSRP.
Quatre thèmes majeurs paraissent sous-estimés ou peu financés dans les PSRP : éducation et capital social, santé et équité, Etat et administrations publiques, développement participatif et local. Nous avons déjà souligné l’importance des deux premiers thèmes. Insistons pour terminer sur les deux points qui sont rarement abordés de front : le rôle de l’Etat dans le développement et la démocratie participative et qui constituent le fondement d’un modèle libéral-social de développement et de démocratie : un Etat fort avec des contre-pouvoirs possibles, un marché fort avec une situation de concurrence ou au moins de contestabilité.
L’articulation entre un Etat fort et un marché fort constitue le nœud du problème de développement de nombreux pays, et au delà de l’Etat, il y a le problème de la bonne gouvernance et de la démocratie locale qui intègrent le contrôle des populations sur les processus de décision. Il y a là une faiblesse apparente dans les orientations du NEPAD : quel Etat et quels moyens pour l’Etat dans le processus de développement ? Un Etat fort n’est pas forcément un Etat pléthorique, il est un Etat capable d’appliquer et de faire appliquer les politiques dans les délais et au moindre coût : une politique qui n’est pas mise en œuvre n’est pas une politique, une bonne politique qui manque de ressources pour sa mise en œuvre devient une mauvaise politique, une politique qui est difficilement appliquée parce que les responsables ne sont pas motivés n’aura pas par définition les résultats escomptés, une politique de financement ne sert à rien si les capacités d’absorption n’augmentent pas, un Ministère technique a peu d’utilité s’il ne parvient pas imposer son leadership et ses orientations stratégiques dans le secteur concerné.
Par ailleurs, l’un des fondements du développement économique est la démocratie participative et il s’agit là d’une faiblesse notoire du NEPAD : la population africaine n’a joué aucun rôle dans sa conception et sa formulation. Le développement participatif et local implique que la participation des populations ne porte pas seulement sur la définition du concept de pauvreté, que les populations des villages parviennent à faire entendre leurs voix, que les pauvres, les exclus, les femmes et enfants soient pris en compte et participent aux débats, qu’il n’y ait pas de contradiction entre le macro, le méso et le microéconomique, qu’il y ait une adéquation entre les changements (y compris culturels) jugés globalement nécessaires et les changements à la base.
En conclusion, on peut dire que le NEPAD connaîtra une réussite palpable lorsque les responsables nationaux pourront en tirer parti pour optimiser les programmes en cours et lorsque les populations à la base en profiteront concrètement.
A l’intention des acteurs africains sceptiques, les dirigeants du NEPAD pourraient donner deux signes forts des changements en cours :
-montrer clairement que les discussions et négociations ne se limitent pas à un dialogue d’experts macroéconomistes (sous l’égide des Ministères des finances et des Banques centrales) sur l’avenir économique et financier du continent comme si les problèmes de pauvreté, sida, malnutrition, insécurité, droits des femmes et enfants, analphabétisme,….. n’existaient pas urgemment
-montrer clairement que l’on ne se satisfait pas de signes statistiques macroéconomiques abstraits (une croissance forte du PIB national, une augmentation des budgets sociaux votés,…..) si les populations locales ne bénéficient pas parallèlement et immédiatement d’une amélioration visible de leurs conditions de vie et d’une réduction notoire de leur insécurité.
On l’a compris, passer du concept « NEPAD » à sa mise en œuvre n’est pas d’abord une question de financement, mais de consolidation de ses bases éthiques et analytiques ainsi que de volonté et de courage politiques. Sur ces bases, il devient possible de définir des orientations stratégiques précises dans les secteurs prioritaires.
- Un exemple d’application : des orientations stratégiques
pour le NEPAD dans le secteur de la santé
Il en est du secteur de la santé comme des autres secteurs : les PSRP sont supposés changer les orientations des politiques et des programmes au profit immédiat des pauvres.
On peut donc faire l’hypothèse que les PSRP ont adopté des mesures telles que :
-faire le choix d’un Paquet Minimum d’Activités primaires pour tous les districts 1010 un district de santé couvre idéalement 200.000 personnes et comprend une équipe de district, 10 centres de santé et un hôpital de district avec réduction des inégalités géographiques en matière d’allocation des ressources humaines et physiques
-accentuer les dépenses préventives et les actions mobiles en direction de ceux qui ne fréquentent las les structures de santé
-modifier progressivement la structure de financement du secteur en allant du paiement direct par les usagers (les malades) vers la mutualisation, l’assurance et la protection sociale
-accroître les dépenses concernant les infrastructures de désenclavement des zones pauvres, l’éducation et l’alphabétisation des pauvres, leurs conditions d’habitat, d’eau, d’hygiène et de nutrition
-permettre aux pauvres de s’organiser et de participer à la vie économique et sociale du pays.
Il reste que les contraintes financières et budgétaires sont très fortes pour la plupart des pays africains et que la réussite des PSRP dans le domaine de la santé est d’autant plus problématique que les problèmes de santé sont nombreux et importants pour des populations qui se sont globalement appauvries et fragilisées depuis de nombreuses années (avec des cercles vicieux et des comportements défavorables).
Le grand apport du NEPAD peut alors de créer un déclic pour la mise en place d’un mode nouveau et raisonné de financement et de production de biens et services de santé.
Cette mise en place peut se faire sur la base d’une restructuration du portefeuille de biens et services publics à partir d’un cadre logique de distribution des biens aux quatre niveaux mondial, régional, national et local et d’un mode raisonnable de rationnement permettant de décrire le cheminement des pays vers des situations meilleures.
a) le choix des biens publics à promouvoir pour développer l’offre et garantir le succès des PSRP
Pour éviter des raisonnements trop généraux voire utopistes, il est recommandé de partir des PSRP propres aux pays d’une même zone sous-régionale et d’aborder les questions de biens publics locaux et mondiaux comme une question de biens publics nationaux pouvant être décentralisés pour les premiers et exigeant une coopération internationale pour les seconds.
Type de biens
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Type d’actions à mener
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Biens publics mondiaux
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-Promouvoir une stratégie continentale, un «panafricanisme moderne» qui parvient à faire entendre la voix de l’Afrique et à promouvoir l’afro-optimisme à l’échelle mondiale
-Bien faire ressortir la dimension «biens publics globaux» des objectifs de développement du Millénaire
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Biens publics régionaux
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-Mettre en place des actions en faveur d’in modèle de développement et de démocratie favorable aux initiatives privées, à la démocratie participative et à la bonne gouvernance
-Mobiliser des financement en faveur de la recherche scientifique concernant les principales maladies africaines (paludime, tuberculose, sida,….) et garantir l’achat par les pays africains des produits de la recherche (l’assurance de débouchés et de profits étant la seule condition d’activation de la recherche pour une firme multinationale)
-Mettre en place un Fonds financier pour appliquer une politique de prix différentiés et pour permettre de fournir aux pays pauvres les principaux médicaments et appuyer les capacités de négociation des pays (exemple : centrales d’achat de médicaments régionales)
-Encourager les partenariats privés (Fondations, coopération décentralisée,…) et susciter le développement des modes de gestion et de production non publics : modes privés non lucratifs, contrats-plans,…
-Susciter les spécialisations et les complémentarités pour les activités de niveau tertiaire et quaternaire (services spécialisés, formations universitaires,…)
-Favoriser à moyen terme le développement de la production (médicaments, équipements,…..) en faveur des secteurs de santé
-Aller progressivement vers une harmonisation des conditions et des normes entre pays d’une même zone dans une optique gagnant-gagnant
-Promouvoir les principes de subsidiarité, d’équité et d’expérimentation (régionalisation des expériences réussies 1111 la diffusion des expériences réussies est particulièrement importante : la lutte contre le VIH/SIDA (Ouganda), la promotion des centres de santé privés non lucratifs (Mali), la mise en place de l’assurance maladie universelle (Tunisie), le développement simultané du microcrédit et des mutuelles de santé, l’application effective de la référence, l’amélioration de la gestion budgétaire,…… ,….)
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Biens publics nationaux
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-Concevoir un petit ensemble de biens publics nationaux à fort potentiel et qui doivent assurer la réussite des PSRP : gestion nationale du développement et gouvernance, capacité de leadership du Ministère de la santé,…..
-Promouvoir les principes de subsidiarité, d’équité et d’expérimentation
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Biens publics locaux
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-Renforcer les programmes favorables à la gouvernance locale
-Garantir le financement d’un Paquet Minimum d’Activités de 12 district en tenant compte des capacité d’absorption et de la viabilité financière et institutionnelle des projets
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b) le choix d’un cheminement garantissant le succès des PSRP et des objectifs du Millénaire
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Services
Primaires
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Services secondaires
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Services supérieurs
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Pauvres/riches
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Femmes/hommes
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200 dollars/
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Travailleurs/non travailleurs
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hab/an
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Jeunes/vieux
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Soulignons que pour pouvoir raisonnablement remplir toute la matrice de services de santé, il faut un minimum de dépenses de santé de 200 à 300 dollars par habitant et par an, alors qu’en 2002, nombre de pays africains pauvres consacrent seulement autour de 20 à 40 dollars (dont 2 à 10 dollars de dépenses publiques) à la santé. Ainsi, faut-il concevoir le remplissage de la matrice comme un exercice de long terme en partant d’une situation très rationnée et en donnant à chacun sa chance d’être soigné. 13
A très long terme, le tableau a vocation à être complètement rempli afin de permettre à toutes les populations d’avoir accès à tous les types de services. La situation actuelle est très éloignée de cet état d’abondance et le problème est de savoir comment, en s’appuyant sur le NEPAD et en ayant la volonté de promouvoir un modèle de développement et de gouvernance basé sur l’éthique de libéralisme social, il est possible de faire le choix d’un cheminement moins inégalitaire et moins restrictif que par le passé.
Il s’agit de passer définitivement dans l’après-Bamako 14, ce qui concerne le choix des services prioritaires et des financements 15 et d’adopter consciemment un mode de rationnement raisonnable.
Valeurs Evidence technique
Choix
Rappelons que le choix d’une méthode technique cache toujours une valeur sous-jacente et oriente le choix en faveur d’un type de services et d’une sous-catégorie de population cible :
-l’analyse coût-utilité favorise des services peu coûteux qui sauvent beaucoup d’années de vie : elle favorise, toute choses gales par ailleurs la santé infantile (services primaires, enfants)
-l’approche du capital humain favorise les services qui profitent aux personnes potentiellement productive sachant que la productivité est souvent supposée correspondre au revenu des personnes considérées : elle favorise, toutes choses égales par ailleurs, les services primaires et secondaires pour les travailleurs riches
-l’approche du PMA de district payant dans les structures publiques favorise les services payants du PMA à l’intention des couches moyennes de la population qui n’ont pas les moyens de recourir aux services privés lucratifs
-l’approche des mutuelles garantissant les services d’évacuation et d’hospitalisation favorise les services secondaires pour les classes moyennes, mais ne profite pas aux pauvres et joue contre la politique de soins primaires dans les districts
-les initiatives régionales ou mondiales pour un accès des populations aux médicaments coûteux ne constituent globalement un bon choix pour les pays que si les financements concernés ne se substituent pas à des financements nationaux dont on connaît par ailleurs la rareté.
Il n’est pas du ressort de cette communication de développer les points précédents. Soulignons seulement le besoin de cohérence entre les méthodes, les valeurs et les objectifs. L’élargissement progressif du champ des services est supposé venir de trois directions :
-une orientation des PSRP nationaux en faveur des zones et populations pauvres
-une réalisation d’un PMA pour tous quelque soit le prix au niveau local
-des initiatives supranationales pour alléger le coût de certains services et accélérer les possibilités et capacités de lutter contre les maladies prioritaires des pays africains.
A terme, la gouvernance locale et la gouvernance régionale doivent encadrer la gouvernance nationale du secteur de la santé sans que pour autant le Ministère de la santé perde son rôle de leadership, mais sans doute la combinaison d’actions publiques nationales (production, réglementation, transferts) est-elle appelée à se modifier substantiellement :
-sur la base de financements locaux et communautaires majoritaires, la gouvernance locale plaide en faveur de services locaux de base de type privé à but non lucratif
-sur la base de financements supra et intra nationaux, la gouvernance régionale plaide en faveur du regroupement de programmes nationaux pour constituer des partenariats aux objectifs clairs et bien circonscrits (analyse des meilleures pratiques, centrales d’achat, promotion des expérimentations, fonds…..).
Connaissant les limites de politiques extrêmes en matière de santé (le tout gratuit ou le tout payant, le tout privé ou le tout public, le tout facultatif ou le tout obligatoire) et les difficultés à révolutionner un secteur compte tenu des pesanteurs sociologiques et institutionnelles, la meilleure solution est sans doute d’appuyer les PSRP existants et d’adopter une double approche de type « hurdle approach » et de type « tracking approach » qui pourraient être encouragées à partir d’un Fonds régional pour les districts innovateurs :
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« hurdle approach » : proposer des financements à des districts qui en font la demande et qui font la preuve de leurs capacités et de leur volonté d’innover pour améliorer la santé des populations concernées 1616 parmi les innovations majeures à encourager et contractualiser, on peut citer la mutualisation progressive, les actions de santé publique et les services à domicile, l’application effective de la référence,….. ; de plus en plus de districts seront appelés à profiter du Fonds, tandis que les financements supranationaux seront progressivement remplacés par des financements locaux et nationaux
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« tracking approach » : veiller à ce que les lignes financières profitent véritablement à toutes les populations, y compris les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus périphériques.
Compte tenu de tout ce qui précède, nous terminerons cette réflexion en faisant quatre modestes propositions et suggestions :
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-il est important d’éviter la prolifération des Fonds et des initiatives qui n’aurait pour effet que de permettre la fongibilité et l’additionnalité des financements augmentant les coûts, en posant des problèmes de cohérence et d’efficacité et en pouvant vider de sens une politique systémique et bien localisée (on connaît la difficulté d’une politique de district face aux programmes verticaux)
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-il est important de souligner que l’aide au développement a vocation à croître en même temps que la mondialisation puisque celle-ci est synonyme de croissance des interdépendances, des externalités, des biens publics globaux dont le financement est un enjeu mondial et ne profite pas seulement aux pays directement concernés
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-il est important de ne pas se voiler la face : les financements possibles à court terme sont encore pour l’essentiel des prêts (quid de l’endettement futur ?), alors que dans un secteur comme la santé ils devraient être des dons publics (impliquant une adaptation des modes de financement des banques de développement), des dons du secteur privé, une fiscalité mondiale (taxe Tobin,…. ?) et régionale (interafricaine,…. ?)
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-de nouvelles initiatives de réduction de la dette pourraient servir à financer les contreparties financières nationales de programme régionaux et continentaux qui deviendraient la clé du décollage africain dans la santé comme dans les autres secteurs et qui permettraient, pourquoi pas, de démontrer la volonté d’intégration et de solidarité africaine en suscitant un rattrapage des pays les plus pauvres et en favorisant les pays qui ont le moins de chances (enclavement, absence de pétrole et de matières premières,…..).
J-P.F.
Notes:
1 pour cette partie, nous nous appuyons sur J.P. Foirry et B. Top (voir bibliographie)
2 Rapport d’Etat sur le Secteur de l’Education Nationale : voir les sites Internet de la Banque Mondiale et de l’UNESCO
3 à travers l’éthique du libéralisme social, nous faisons référence à une doctrine de libéralisme égalitaire (Rawls, Sen,…) qui concevrait l’égalité sous l’angle de l’égalité (véritable) des chances et qui accepterait une utilisation raisonnable et modérée de méthodes utilitaristes pour faire le choix de programmes prioritaires
4 voir par exemple le site Internet de la CODESRIA
5 Déclaration finale, CODESRIA-TWIN (voir bibliographie)
6 J. Ziegler « Les nouveaux maîtres du monde », Fayard, 2002
7 Le Monde Diplomatique, décembre 2002
8 en sens inverse de Ziegler, on lira avec profit : J.F. Revel « L’obsession antiaméricaine », Plon, 2002
9 on pourrait facilement montrer les effets négatifs pour les pays pauvres d’un analphabétisme larvé et parfois volontaire, d’une absence d’Etat crédible et légitime, d’une insuffisance d’économie de marché (exemple : la commercialisation des produits vivriers pour une plus grande autonomie alimentaire), d’un manque de participation active à la mondialisation (exemple : capacités technologiques ou exportatrices), d’effets dépressifs de politiques antilibérales (réglementations des prix des produits vivriers, contrôle des changes, tracasseries administratives, barrières douanières, course aux dévaluations compétitives,…..). En sens inverse, on pourrait aussi faire état des effets négatifs pour les pays pauvres et vulnérables de nombre de politiques menées par les pays membres du G8 : subventions agricoles, protectionnisme indirect, recours aux paradis fiscaux, ……..
10 un district de santé couvre idéalement 200.000 personnes et comprend une équipe de district, 10 centres de santé et un hôpital de district
11 la diffusion des expériences réussies est particulièrement importante : la lutte contre le VIH/SIDA (Ouganda), la promotion des centres de santé privés non lucratifs (Mali), la mise en place de l’assurance maladie universelle (Tunisie), le développement simultané du microcrédit et des mutuelles de santé, l’application effective de la référence, l’amélioration de la gestion budgétaire,……
12 actuellement, dans la plupart des pays, un district ne peut financièrement assurer que 20% à 30% des PMA définis par les experts de santé publique
13 un exemple de couverture avec une chance pour tous : des mutuelles par villages avec prise en charge des pauvres pour le PMA primaire (centres de santé), plus un fonds de réassurance de district pour les services d’évacuation et d’hospitalisation, plus une possibilité d’accès à des services spécialisés pour des habitants des villages (initiatives d’ONG, coopération décentralisée,……)
14 initiative qui avait promu, entre autre, le paiement par les usagers (malades) comme moyen de recouvrer les coûts des structures de santé publiques
15 voir J.P. Foirry et C. Prieur « Etude sur l’extension des assurances sociales obligatoires au risque maladie dans les pays de la Zone de Solidarité », Credes, Ministère des Affaires Etrangères, 2001 (disponible sur le site Internet du Ministère)
16 parmi les innovations majeures à encourager et contractualiser, on peut citer la mutualisation progressive, les actions de santé publique et les services à domicile, l’application effective de la référence.
Bibliographie:
-Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique « Declaration on Africa’s challenges », Codesria – Twin, 2002 (voir le site internet du CODESRIA)
-Foirry J.P. et Top B. « De la réflexion prospective à la prise de décision : un manuel d’analyse et de planification stratégique pour l’Afrique du 21ème siècle », Futurs Africains, Nations-Unies, à paraître, 1er trimestre 2003
-Paul I. et al. « Le financement des biens publics mondiaux : de nouveaux outils pour de nouveaux défis », PNUD, 2002
-Payne R. « Politics and culture in the developing world : the impact of globalization », à paraître, 1er trimestre 2003
-Robbins R. « Global problems and the culture of capitalism », Ed. Allyn and Bacon, 2002