Santé
Le sida n’est pas une fatalité
Jean-Loup Rey et Jean-Marie Milleliri*
*JLR , JMM : médecins de santé publique. Président et secrétaire général du GISPE)– Groupe d’Intervention en Santé Publique – 82 Bd Tellène, 13007 Marseille (France)
Il est indéniable que l’épidémie de Sida va continuer à peser sur l’avenir mondial et sur toutes les sociétés de la planète. Directement parce que les nations les plus touchées perdent chaque jour un peu plus leurs capacités de développement et d’entreprise, indirectement parce que les autres nations, moins touchées ou contrôlant en partie l’épidémie, seront affectées par les effets déstabilisant du Sida sur leur sécurité et sur la distraction de leurs ressources engagées dans une solidarité humanitaire d’aide et d’appui à la recherche de solutions pour les autres nations.
En Afrique, plus que sur tout autre continent, les conséquences du Sida sont majeures, et la question que l’observateur se pose est de savoir en quoi le NEPAD peut être une nouvelle chance pour la découverte de réponses appropriées à la lutte contre le Sida sur ce continent.
Des constats épidémiologiques contrastés
Alors que l'Afrique représente environ 11% de la population mondiale, 75% des enfants et des adultes infectés par le VIH dans le monde vivent sur le continent africain. Les malades se comptent par millions, et les estimations annuelles émanant des rapports des organismes onusiens ont le triste privilège de n’apporter que peu de surprises dans la croissance du nombre des hommes, des femmes et des enfants infectées. A la fin de l’année 2002, le chiffre de près de 30 millions d’individus vivant porteurs du VIH/sida en Afrique (29,4 millions sur les 42 millions de la planète) donne dans sa froideur statistique toute l’ampleur de l’épidémie africaine. En 2002, l’épidémie a tué 2,4 millions d’Africains et près de 3 millions d’enfants de moins de 15 ans vivent avec le VIH. Mais derrière ces chiffres froids, ce sont des individus qui dans leur quotidien vivent des drames nés des conséquences directes de l’infection. La maladie dépasse alors son simple cadre médical et prolonge ses effets sur les aspects socio-économiques de la vie des individus. Outre la perte de capacité physique - dès lors que les affections opportunistes se développent, que les forces vitales de l’individu s’amenuisent -, l’incapacité de travailler, d’entreprendre, de développer une vie sociale et culturelle grève le quotidien. Sans parler des stigmatisations, des exclusions dont sont encore trop souvent victimes celles et ceux qui, révélant leur séropositivité (ou que d’autres révèlent pour eux faisant fi des règles de confidentialité), sont rejetés par des sociétés où des peurs d’un autre âge ressurgissent comme pour masquer les propres peurs de sociétés perdant leurs repères. La société africaine a été mise à mal par cette épidémie et la classique et réputée “ solidarité africaine ” a volé en éclat face à l’extension du virus dans les populations. Pourtant, des signes nouveaux apparaissent qui montrent un changement d’orientation, encore trop timide, dans cette capacité à se soutenir face à cette épidémie entre individus, dans les familles et dans les sociétés. De nouvelles solidarités se créent entre malades ou personnes infectées et entre groupes socioprofessionnels ; des réseaux apparaissent, et disparaissent malheureusement aussi écrasés par le poids des charges liées à cette maladie.
Les constats épidémiologiques sont pourtant contrastés en Afrique. Même si les disparités géographiques se sont estompées depuis quelques années, et que le taux moyen d’adultes infectés en Afrique subsaharienne est de 8,8%, les cartes de répartitions des taux d’infections du sida dans les populations sont très hétérogènes sur le continent avec des taux variant de 0,2 à plus de 35% d’adultes infectés selon les pays. Ainsi, si le nombre de nouvelles infections est resté globalement stable dans les deux dernières années avec 3,5 millions de nouvelles infections, ce chiffre masque des disparités importantes dans la dynamique de l’épidémie.
L’évolution dans les pays du Sahel s’est faite vers une augmentation des taux d'infection sauf au Sénégal (et sans doute au Niger) où l’épidémie s’est stabilisée ou même s’est ralentie. L’importance des mouvements migratoires semble être la principale hypothèse expliquant cette aggravation de l’endémie sahélienne. Il reste en outre deux régions relativement épargnées, le Maghreb et Madagascar où les taux n’ont pas varié.La région centrale d’Afrique, avec le Nigeria et la majeure partie du Cameroun, du Bénin et même le Nord du Gabon ont vu une progression rapide de l’épidémie en 4 ou 5 ans. Les autres régions d’Afrique centrale, orientale et australe ont vu leur situation s’aggraver (taux supérieurs à 30% au Botswana, Lesotho, Swaziland, Zimbabwe) avec une exception pour l’Ouganda où les taux ont baissé. La carte d’Afrique des taux d'infection montre maintenant une progression nette du nord au sud avec la place dramatique que tient l’Afrique du Sud.
Deux pays africains ont vu leur séroprévalence stagner ou baisser : le Sénégal et l’Ouganda. Dans ces deux pays il y a eu une mobilisation forte des autorités politiques.
Au Sénégal, le programme de lutte a gardé une planification forte avec un même responsable sur 15 ans et une stratégie globalement inchangée, se renforçant chaque année.
En Ouganda, le constat est plus mitigé : il y a une forte mobilisation du Président mais de nombreuses autorités politiques et religieuses n’ont pas fait preuve d’une même volonté politique. Il est vraisemblable que c'est la lutte très dynamique contre les MST, qui a joué le plus grand rôle dans cette amélioration de la situation épidémique. Mais pour la première fois et même s’il est aussi possible que les forts taux d’infection constatés dans les années 1980 aient provoqué une mortalité élevée, faisant baisser le nombre absolu et relatif de séropositifs , il a été démontré dans ce pays une baisse du nombre de nouvelles contaminations, preuve que des efforts globaux portant sur la prévention peuvent porter leurs fruits.
Au Sénégal, il semble que les traditions, liées ou non directement à l’Islam, ont ralenti la diffusion du virus en contrôlant la sexualité des jeunes, en particulier lors des migrations saisonnières intérieures.
Mais si les actions alliant la prévention, au traitement et la prise en charge des millions de malades africains ne sont pas accrues, l’épidémie va continuer à engendrer des drames plus importants dont les conséquences sont déjà si fortes. L’épidémie a déjà fait reculer l’espérance de vie mettant à mal les faibles acquis de développement obtenus par les pays africains depuis les indépendances. Les répercussions sur les productivités nationales sont fortes d’autant qu’à la baisse des revenus des Etats s’ajoute une augmentation des coûts des dépenses publiques dirigées vers les systèmes de santé. La lutte contre l’épidémie de Sida est donc devenue en Afrique plus qu’ailleurs une priorité dans laquelle l’engagement des Nations ne peut plus se limiter aux discours annuels de circonstance pour déplorer le manque de moyens mis en œuvre.
Des engagements
internationaux encourageants
Du déni des premières années de l’épidémie, cachant les craintes de certains pays à se voir stigmatiser dans leur ensemble, à la reconnaissance d’une incontournable et impérieuse nécessité d’actions, que de chemin parcouru en vingt ans ! Mais la route est encore longue !
Trop longtemps l’Afrique est restée en marge des efforts consentis par le monde dans sa volonté de faire reculer l’épidémie. Sans doute l’Afrique est elle restée trop passive à ce sujet attendant de l’extérieur des solutions qu’elle n’imaginait pas pouvoir construire elle-même. Le Nord, concentré sur la mise en place de ses propres structures, sur ses propres drames à juguler, a tardé à prendre la mesure de l’engagement nécessaire pour trouver la juste voie d’une prise en compte de l’épidémie africaine.
Il aura fallu attendre la Conférence internationale de Durban en l’an 2000 pour que soit lancé le cri du refus à la fracture entre le Nord et le Sud, et que la rupture du silence soit amorcée.
- En 1994 lors du Sommet de Paris, puis en 1997 lors de la Conférence internationale d’Abidjan, des voix françaises s’étaient élevées pour dire qu’il n’était plus possible de réserver au Nord l’accès au traitement pour ne laisser au Sud que le seul recours à la prévention.
- En 1998, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Ouganda et la Thaïlande mettent en place un fonds national pour les anti-rétroviraux, appelé Initiative d’accès aux anti-rétroviraux. Parallèlement, l’ONUSIDA (programme commun des organismes onusiens pour la lutte contre le sida, créé en 1996) entame des discussions avec les laboratoires afin d’obtenir des baisses de prix des molécules pour permettre leurs accessibilité aux Programmes nationaux de lutte. A partir de 1999, le programme français dénommé Fonds de Solidarité Thérapeutique International (FSTI) développe des programmes d’accès aux traitements dans le Sud démontrant la faisabilité de telles actions.
- En 2000 et 2001, des plaidoyers se multiplient, notamment par la voix d’associations du Nord, indignées de constater que l’Afrique reste trop oubliée de cet enjeu thérapeutique. Les initiatives africaines se font plus nombreuses marquant la volonté des Etats du continent de prouver leur capacité, même avec des moyens limités, de créer une dynamique nouvelle dans cet engagement.
Cet engagement, les Etats africains l’ont totalement adopté lors de la Déclaration de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le VIH/Sida en juin 2001. Pendant cette session les discours des Chefs d’Etats et de gouvernements ont insisté sur “ leur volonté d’unir aussi bien leurs efforts que les moyens dont ils disposent pour opposer un front commun à cette menace globale ” (Algérie) ; “ le Sida est enfin pris pour ce qu’il est : un terrible fléau, un obstacle majeur au développement démographique, social, économique et, dans les régions les plus touchées, une menace pour la stabilité politique ” (France).
Le Sida devient donc un enjeu de sécurité nationale et internationale, comme l’avait souligné antérieurement une réunion spéciale du Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2000. Un Fonds mondial pour la lutte contre le Sida est lancé à l’issue de cette Session de juin 2001. Elargi en janvier 2002 à la lutte contre le paludisme et la tuberculose, ce fonds a des besoins annuels évalués à 10 milliards de dollars. En décembre 2002, Richard Feachem, directeur exécutif du Fonds global, reconnaissait que les contributions à ce fonds n’étaient pas à la hauteur des attentes : 700 millions en caisse seulement (moins de 10% des besoins théoriques annuels) même si 2,1 milliards de dollars sont promis pour les cinq prochaines années. Mais tout retard dans la capacité de financement des nouveaux programmes à mettre en place sont autant de vies perdues, gâchées et “ gaspillées ”, offertes à l’épidémie.
De l’intérieur du continent africain, les engagements des pays apportent néanmoins leurs lots de bonnes nouvelles. Déjà, en formulant des stratégies nationales propres à leurs populations, 40 pays africains se sont engagés sur une voie sans doute mieux réfléchie, mieux adaptée à leurs spécificités. De plus, la lutte contre le Sida est désormais coordonnée dans 19 pays au sein d’un Comité National de Lutte contre le Sida rattaché auprès des Présidences ou des Premiers ministres, autorisant ainsi des prises de décision en amont plus porteuses d’actions concertées.
Malheureusement les engagements de la conférence des chefs d’état africains d’Abuja n’ont pas été tenus par les responsables politiques qui avaient promis d’augmenter le budget de la santé jusqu’à 15% du budget national ; rares sont les pays qui ont augmenté cette part de la santé et toujours très loin de ce chiffre de 15%.
Les engagements évoluent aussi au sein des sociétés et des entreprises privées dont certaines ont enfin compris tout l’intérêt qu’elles avaient à prendre en charge les traitements de leurs employés faute de quoi, par absentéisme ou par perte de personnel qualifié leur rentabilité en souffrirait. Des entreprises comme Alucam au Cameroun, CIE en Côte d’Ivoire ont été des précurseurs, suivies par d’autres telles que Anglo-American, Heineken, AngloGold ou De Beers. Mais ces initiatives ne sont pas assez nombreuses et sont parfois encore freinées par les prix des anti-rétroviraux.
La conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui s’est tenue à Doha en novembre 2001 a autorisé les pays producteurs de copies génériques de médicaments antirétroviraux, s’affranchissant ainsi des prix liés aux brevets de laboratoires, à couvrir leur marché national pour traiter leurs malades. L’Inde et le Brésil sont dans ce cas. Ainsi, lors de la XIVe Conférence internationale contre le Sida qui a eu lieu à Barcelone en juillet 2002, Paulo Roberto Teixeira, directeur de la coordination nationale brésilienne, a annoncé que le coût moyen annuel par patient de la thérapie anti-rétrovirale avait diminué de moitié dans son pays au cours des dernières années, et que sur les 15 médicaments antirétroviraux disponibles au Brésil, 8 étaient produits localement. Mais, ces expériences relancent les discussions sur l’accès des pays pauvres aux médicaments, et le débat qui n’a pu aboutir en décembre 2002 doit reprendre en février 2003 afin de permettre l’exportation de produits génériques antirétroviraux à bas prix, produits au Brésil ou en Inde par exemple, vers les pays qui en ont le plus besoin – cette pratique étant actuellement rendue pratiquement impossible par l’OMC.
Au-delà des engagements politiques, dont le plus marquant a sans doute été celui du Président ougandais Museweni, des initiatives nouvelles ont vu le jour, comme l’initiative des Premières Dames d’Afrique. Elles sont sans doute aptes à permettre d’apporter des appuis supplémentaires aux actions de terrain dès lors qu’elles ne se cantonnent pas à des discours et des élans de façade, mais qu’elles relaient les dynamiques de lutte de la société civile.
Cette société civile africaine – qui n’a pas les mêmes moyens que ses sœurs du Nord – s’est mieux organisée depuis quelques années et la multiplication des réseaux utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication est là pour illustrer son dynamisme. Les associations africaines de lutte contre le sida sont devenues des auxiliaires plus crédibles de l’Etat mais elles vivent dans des situations de précarité telles, que leur enjeu est souvent la survie des membres avant le bien être de la communauté. Et le débat entre indépendance et financement public est d’une acuité majeure au sein de ces associations. Ainsi au Gabon, l’association Sida Zéro, organisatrice d’une grande soirée télévisée en 1998 (six heures d’antennes sur 3 chaînes nationales), souhaitant développer des activités de soutien auprès de malades n’a toujours pas pu obtenir le financement d’un centre d’accueil communautaire alors que cette association, sur ses fonds propres, a fait l’effort d’acquérir un terrain à cet effet et réalisé toutes les démarches préparatoires à ce projet.
Ces engagements nouveaux apportent des signes prometteurs indiquant que l’épidémie pourrait être maîtrisée. Lors de la conférence des ministres ouest-africains de l’Education qui s’est tenue au Ghana en octobre 2002, le représentant de l’UNESCO, M. Yoro Fall a rappelé combien le combat contre le sida devait faire partie intégrante des systèmes éducatifs et d’une vision globale de l’Education pour Tous (EPT). Et Mohammed Ibn Chambas, secrétaire exécutif de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a souligné le rôle que pourrait tenir le NEPAD dans cet engagement en vue d’appuyer les initiatives régionales d’endiguement de l’épidémie.
Le système éducatif peut faire reculer l’épidémie en informant et motivant la jeunesse pour développer sa capacité à changer les comportements à risque de contamination. En Ouganda, l’utilisation du préservatif chez les femmes célibataires de 15 à 24 ans a presque doublé entre 1995 et 2000, et un nombre important des femmes de ce groupe d’âge ont retardé leur activité sexuelle ou ont pratiqué une totale abstinence, ce qui peut expliquer la baisse régulière de la prévalence du VIH parmi les femmes enceintes de 15 à 19 ans dans ce pays. En Afrique du Sud, les taux de prévalence chez les jeunes femmes enceintes de moins de 20 ans ont chuté à 15,4% en 2001 alors qu’ils étaient à 21% en 1998. Ces exemples sont la preuve que des engagements globaux, des actions d’envergure et la mise en place de politiques d’actions concrètes peuvent avoir des résultats positifs même dans des pays où les capacités locales sont faibles. Mais il ne faut pas oublier ceux qui sont déjà infectés et c’est pourquoi la nécessité de l’accès aux traitements doit être une priorité continuelle.
Des enjeux qui dépassent
les aspects médico-sociaux
Le développement si meurtrier de l’épidémie de Sida en Afrique n’a pas seulement été un révélateur des défaillances des systèmes de santé du continent. Il a aussi été l’indicateur des failles du développement, nourrissant son explosion des déchirements et des errements socio- politiques en place.
L’épidémie de sida a accompagné et sans doute favorisé certaines mutations sociologiques en Afrique comme la perte de la prééminence de la société rurale, l’inadaptation de la culture africaine qui met les anciens au-dessus de tout (cette tradition perdure, bien que de plus en plus contestée par certaines franges de populations). Conjointement, le rôle des femmes change de même que celui des enfants (ou adolescents) qui veulent prendre leur place dans la société, passant d’un rôle de spectateurs à celui d’acteurs impliqués. Les clubs antisida dans certains lycées autorisant de nouvelles relations sociales des élèves entre eux et avec leurs professeurs participent positivement au recul des nouvelles contaminations. Certaines expériences ont montré que même dans des conditions très précaires (réfugiés, enfants de rue), il pouvait exister une prise de conscience et de responsabilité de ces groupes face au sida. Ainsi, ces groupes de femmes décidées à lutter contre leur vulnérabilité face à la contamination et s’organisant entre elles pour créer des réseaux de soutien. On le voit, toutes ces modifications sociologiques ont été favorisées par l’épidémie de sida et réciproquement. D’un autre côté, l’épidémie de sida a favorisé le développement de structures et d’associations, qui bien que n’ayant pas le même pouvoir de propositions et d’actions qu’au Nord, deviennent dans les pays d’Afrique des interlocuteurs de plus en plus incontournables des pouvoirs publics. Parfois trop inféodées aux institutions politiques ou ministérielles, ces associations manquent encore trop d’indépendance de vue et ces “ liaisons dangereuses ” peuvent créer des conflits d’intérêt dont la seule bénéficiaire est la montée de la courbe épidémique du VIH.
Les enjeux de la réussite des plans de lutte contre le sida en Afrique débordent le simple constat médico-social. Toutes les analyses montrent désormais que les effets de l’épidémie africaine, en plus de rejaillir directement sur le développement du continent, auront – à l’heure de la mondialisation – des conséquences sur toutes les sociétés de la planète. Les études montrent que, à cause des morts dus au Sida, plus de 15% de la main d’œuvre aura disparu en 2004 dans certaines exploitations minières ou certaines plantations, si rien n’est fait pour empêcher cette hécatombe. Il devient évident qu’au-delà de la terrible perte que constitue la fonte du capital humain, c’est aussi tout le capital économique qui s’en trouve affecté. Dès lors, pour l’Afrique, réussir à contrecarrer cet avenir que certains afro-pessimistes annonce comme inéluctable, devient un enjeu majeur du développement durable.
Les déchirements, les conflits, les guerres civiles qui ont enflammé le continent depuis vingt ans se superposent à la carte de l’extension de l’épidémie, bien que les guerres ne soient pas le seul facteur favorisant. Mais c’est un facteur particulièrement aggravant. L’enjeu sécuritaire est donc là encore une pièce indispensable dans ce puzzle, car en détruisant le tissu socio- économique par ses conséquences, le sida favorise l’émergence de revendications populaires, contestant l’autorité politique à lui apporter le minimum de bien-être moral et physique. Cette contestation de la classe politique dans son incapacité à trouver des solutions s’étend aux corps habillés africains, parfois aux enseignants dont certains comportements prédateurs sur les populations ne font pas honneur à la vision qu’a le monde extérieur au continent de ces professions. Certes, il ne faut pas généraliser cette vision car certains modèles africains montrent l’exemple et le Sénégal est sans doute le pays où parallèlement au développement et à la stabilité d’une politique démocratique, le sida n’a pas étendu ses tentacules sur les populations. Ces enjeux s’entremêlent et en Afrique comme ailleurs il ne faudra jamais dissocier les uns des autres si l’on veut trouver une solution durable à cette épidémie.
Un avenir révélateur
des mutations politiques nouvelles
Face au sida, l'avenir de l'Afrique pas aussi sombre que certains veulent le laisser penser. Bien sûr, il faudra tout autant s'attacher à combattre les conséquences du sida que les causes qui en sont le terreau pour trouver des solutions durables à cette crise épidémique. Mais le plus fort engagement récent des politiques africains dans ce combat doit bénéficier d'un a priori positif et – tout en étant vigilant sur les concrétisations attendues – recevoir un accueil salué comme une nouvelle volonté d'engager plus avant les Africains eux-mêmes dans ce défi. L'interdépendance de la pauvreté et du sida n'est plus discutée à l'heure actuelle. La communauté internationale a d'ailleurs reconnu ce fait en décidant de consacrer une partie de la réduction de la dette dans les programmes d'allégement (PPTE) à la lutte contre le sida. En soi, cette décision est révélatrice d'une mutation nouvelle.
La difficulté vient ensuite dans l'utilisation efficace de ces fonds et le NEPAD peut jouer un rôle important. Pour cela, il doit mettre en place rapidement des structures internes de réflexion et d'action pour concrétiser les engagements qu'il a pris pour faire du sida une priorité. Par exemple, un des objectifs posés par le NEPAD est de réduire les taux de mortalité infantile et post-infantile des 2/3 entre 2000 et 2015. Il serait intéressant de connaître les modalités d'atteinte de cet objectif spécifique, sachant que la mortalité infantile augmente régulièrement depuis dix ans à cause du sida.
Que proposera le NEPAD dans les actions de lutte contre le sida sur le continent ? Il est à espérer qu'outre sa mission de plaidoyer, cette institution trouvera les énergies africaines nécessaires à la réussite de ce volet. Il est de bonne augure de constater que parmi les 5 pays ayant été à l'origine de la constitution du NEPAD, l'Algérie et le Sénégal se soient distingués par leurs discours engagés lors de la Session extraordinaire des Nations Unies consacrée au VIH/sida. S'il veut comme il l'annonce dans le contenu de ses objectifs "combler le retard par rapport aux régions développées du monde, mettre un terme à la marginalisation du continent…", le NEPAD a le devoir de faire de la lutte contre le sida un préalable aux autres actions qu'il désire promouvoir.
On admet actuellement que le secteur médical privé (lucratif, non lucratif et d'entreprise) joue un rôle majeur dans l'accès aux soins. Pour la majorité des entreprises africaines, il a été montré que la prévention au sein de ces entreprises et le financement de la prise en charge des malades du sida étaient rentables ou même profitables. Le principal risque concerne les atteintes à la confidentialité et aux droits de l’homme ; il convient de rester attentif à ces dangers de stigmatisation et exclusion. Des exemples montrent que c’est possible et qu'il se crée même de nouvelles solidarités au sein des entreprises prenant en compte ce risque.
Il est donc nécessaire de valoriser ces actions, de les contrôler et de les coordonner avec l'action publique. Le secteur public reste indispensable pour toutes les activités non rentables (prévention, dépistage, soins aux "indigents"). Un autre moyen de coordonner les deux secteurs serait de développer la mise en place de couverture médicale (universelle) et/ou le développement de mutualisation médicale (coopératives).
Le Sida a donc déjà profondément modifié toutes les facettes de la société africaine. L'hémorragie humaine pose de réelles questions pour l'avenir et pour ses conséquences sur la capacité du continent à entrer dans un développement réel pour ce nouveau millénaire. Ces constats rappelés dans les engagements du NEPAD prouvent que cette institution a pris conscience de cette responsabilité. Elle peut devenir une clé pour ouvrir des portes jusque là trop fermées, et faire de la lutte contre le Sida un défi à gagner pour que l'Afrique retrouve sa place dans le concert mondial. C’est un pari pour demain. Le NEPAD peut être une chance nouvelle pour cet enjeu continental mais à la condition de créer une dynamique hardie et novatrice pour ne pas décevoir les attentes que les populations africaines.
J-L.R. et J-M M.