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Actualités
01.07.2008
-  élections
Bienvenue
L E S   C A H I E R S   D E 
             L ' A F R I Q U E
            R e v u e   d'é t u d e   e t   d e   r é f l e x i o n   s u r   l e   m o n d e   a f r i c a i n











Une équation complexe

                                                                                






  
  Une décennie après le génocide rwandais, les massacres intercommunautaires dans la province congolaise de l’Ituri nous rappellent que l’Afrique des Grands Lacs (1) est toujours en proie à la terreur et à la violence. Ce drame humanitaire, que la communauté internationale, impuissante, n’a su éviter, se compte aujourd’hui en millions de morts et seulement en quelques lignes dans les médias occidentaux. Curieusement, cette terre où « les morts sont mieux traités que les vivants » (2) ne suscite pas, dans les pays du Nord, la même émotion que les malheurs du Proche et Moyen-Orient. Et pourtant, cette région stratégique de l’Afrique est une véritable poudrière qui peut exploser à tout moment, sans que personne ne puisse en prévoir les conséquences.
 
  La communauté internationale, qui avait été critiquée pour son attentisme lors du génocide rwandais en 1994, a déployé aujourd’hui ses casques bleus en Ituri ; cette intervention dans l’urgence, comme au Liberia et en Côte d’Ivoire, n’est certainement pas suffisante pour pacifier la région, mais elle peut contribuer à calmer le jeu et permettre aux différents acteurs d’imaginer de nouveaux scénarios de sortie de crise.

   Les Cahiers de l’Afrique présentent dans ce numéro un ensemble de réflexions sur les dynamiques régionales dans les pays des Grands Lacs. Au cœur des débats, l’Initiative pour l’Afrique Centrale (INICA) offre un espace de dialogue aux différents  acteurs - secteur privé, société civile, Etat, institutions régionales…- porteurs d’initiatives de paix durable et de stabilité. Qu’il s’agisse de la résolution des conflits ou des politiques de développement, la dimension régionale de la reconstruction est déterminante, observe Cyril Musila. La RDC pourrait jouer un rôle « fédérateur », les dynamiques d’intégration se construisant sur ses marges, autour de ses axes frontaliers. Cependant, l’équation régionale est extrêmement complexe. Les acteurs locaux et régionaux (forces politique, militaire et milicienne rivales) forment un ensemble hétéroclite qui évolue au gré d’alliances et de contre-alliances et les facteurs de crise sont nombreux ; la déliquescence de l’Etat et l’insécurité, la dispute des richesses du sous-sol, la question foncière et la recherche identitaire liée à la nationalité ou à l’ethnie.

   De nombreux scenarii de sortie de crise ont été ébauchés, de Lusaka à Arusha, à Sun City et Pretoria, mais violés à peine signés, ils incitent aujourd’hui à considérer les processus en cours avec la plus grande prudence.
En RDC, le gouvernement de transition, issu des accords de Pretoria, marche à pas forcé vers la réconciliation, mais c’est une transition « embourbée » explique Jean Omasombo. Les anciens chefs de guerre - certains sont accusés de crime contre l’humanité - qui ont pillé le pays depuis la chute de Mobutu, sont devenus ministres, mais leur nouvelle « étiquette » ne garantit guère une gestion collective et transparente de l’Etat. La route de la transition est longue et risquée ; la future armée nationale est encore embryonnaire ; la circulation d’armes alimente l’insécurité dans le Kivu et en Ituri et les richesses du sous-sol congolais attisent toujours les ambitions des voisins du Rwanda et de l’Ouganda. Or, la sortie de crise en RDC dépend aussi pour une large part des relations de bon voisinage avec ces deux Etats.

  Dans la province orientale de l’Ituri, les affrontements inter-ethniques, extrêmement violents, ont déjà fait plus de 50.000 morts et 500.000 déplacés. Malgré la présence renforcée des casques bleus de l’ONU, ce territoire, riche en métaux précieux, concentre tous les ingrédients d’un embrasement de la région. Le véritable risque, précise Meidi Aina, c’est l’instrumentalisation des querelles séculaires entre Hemas et Lendus par les pays voisins. En application du principe « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », les armées des 3 « K » (Kinshasa, Kigali, Kampala) encouragent les milices tribales, de plus en plus armées, qui contrôlent le pillage des ressources de la RDC.

  La RDC forme une mosaïque de 250 ethnies dont les revendications identitaires compliquent la recherche de l’unité nationale. Les populations déplacées par l’onde de choc du génocide rwandais ont accru les tensions dans le Kivu avec les populations autochtones. Inconnus jusqu’à l’arrivée de Laurent Désiré Kabila au pouvoir en 1997, les Banyamulengues - des Tutsis originaires du Rwanda - qui revendiquent une nationalité congolaise qu’on leur refuse toujours, contribuent  à l’instabilité de la province. Comme le montre l'article de Jean Omasombo, ils ont toujours été marginalisés, quel que soit le pouvoir en place à Kinshasa.

   Au Rwanda et au Burundi, l’ethnie ne conduit pas elle-même à la violence ; pour cela il faut une manipulation d’ordre politique qui instrumentalise la rumeur, la peur de l’autre. Pour expliquer la « construction de l’ennemi en contexte ethnique », Paul Kadundu utilise une approche anthropologique qui remet en cause certaines idées reçues ;  plus qu’une réalité sociale, l’ethnie est perçue comme une fabrication humaine en vue de la conquête du pouvoir, principalement dans les  zones qui connaissent un fort taux d’analphabétisation. La seule issue pour l’auteur, c’est le langage du pardon qui peut conduire à la réconciliation à condition que les responsables des massacres soient réellement punis.

   Au pays des mille collines, les rwandais qui viennent de renouer avec le processus électoral, sont toujours hantés par le spectre du divisionnisme ethnique. Pour faire face à l’ampleur du nombre de personnes à juger dans le cadre de responsabilités dans le génocide de 1994, le gouvernement a mis en place une juridiction originale, appelée : « gacaca ». Ce terme signifie « justice de gazon » en kinyarwanda, et fait référence à l’endroit où traditionnellement une communauté locale se réunit pour régler les litiges qui opposent les membres d’une même famille, d’une même communauté. Il s’agit de faire juger les cas les moins graves par des juridictions de village. Mais cette « exception rwandaise » qui utilise la justice comme un instrument de réconciliation et d’unité, soulève cependant des inquiétudes, observent Alison Carascossa et Elisabeth Miclo, notamment en ce qui concerne l’équité et la formation des juges.

   Partageant une longue période d’histoire commune avec le Rwanda, le Burundi connaît depuis 10 ans une situation de guerre civile. Un nouvel espoir de paix intervient, en octobre 2003, avec la signature, sous médiation sud-africaine, d’un accord global politique et militaire. A la différence de l’accord d’Arusha en 2000, le principal groupe rebelle hutu est associé au partage du pouvoir en application de quotas ethniques. Cette avancée importante dans le processus de paix ne doit pas sous estimer la résistance d’une partie des rebelles et l’épineuse question de la constitution d’une armée nationale. Cyril Musila explore les mécanismes du processus de paix engagé en 2000.
      
   Le retour à une paix durable n’est réaliste que si l’on substitue les programmes de développement aux économies de guerre car, ces guerres sont avant tout celles de la misère et de la pauvreté. Dans son étude réalisée à la demande de l’OCDE, Roland Pourtier démontre que le développement est le seule antidote à la violence. Il constate que la reconstruction n’est envisageable qu’à 3 conditions : d’abord  les économies de ces pays doivent cesser d’être dominées par l’exportation de ressources minières au détriment du capital humain et prendre en considération l’économie par le bas, c’est-à-dire l’informel. Ensuite, à l’heure de la mondialisation, les échanges doivent être envisagés à l’échelle régionale et internationale**. Enfin, la confiance reviendra par une restauration des capacités de l’Etat et une bonne gouvernance. 

   L’explosion démographique est une autre source d’instabilité en raison de densités de populations très inégales. L’Est de la RDC forme un espace frontalier où se sont mélangées plusieurs vagues migratoires qui constituent, selon Roland Pourtier, le nœud gordien de la crise politique en Afrique centrale. Les relations entre autochtones et étrangers, la nationalité, la citoyenneté, le statut de la terre, le partage des richesses, ajoutent encore à la confusion entretenue par les milices et les bandes armées.
Il est alors clair que cette région des Grands Lacs ne connaîtra pas de paix durable sans véritables programmes de développement à l’échelle régionale.



Jean-Jacques Mallemanche