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Actualités
01.07.2008
-  élections
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L E S   C A H I E R S   D E 
             L ' A F R I Q U E
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Zone Mopti-Ouahigouya










A l'écoute
des acteurs locaux

  Marie trémolières*  
                                                                                         






*Marie Trémolières travaille au sein de l'unité "Développement local et processus d'intégration régionale" au SCSAO-OCDE. Cet article basé sur différentes études menées par le SCSAO n'engage toutefois que son auteur ([email protected]).






 Nombreux sont les termes employés pour définir les espaces débordant les frontières étatiques, dont les limites élastiques peuvent être aussi bien micro que macro-régionales :

« pays-frontière» ; « zones frontalières » ; « zones sans frontières » ;

« corridors de développement » ; « couloirs de paix » ; « triangles de croissance ».
 

 Quelques soient les termes utilisés, les participants à un atelier récent sur la coopération frontalière 11 Ouagadougou, juillet 2003, réunion à l’invitation de l’UEMOA et à l’initiative de la DNF malienne, organisée par le SCSAO et Enda/Diapol. Le CR de l’atelier est disponible sur le site www.afriquefrontieres.org retiennent un concept englobant les activités de part et d’autre des frontières, menées pour des motifs économiques, sociaux, culturels, voire politiques. La définition de l’espace transfrontalier se veut large pour éviter toute tentative d’enfermement et réduire les discussions théoriques souvent peu opérationnelles. L’expérience Mopti-Ouahigouya qui née d’une mission de terrain menée par le SCSAO 22 Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest en février 2003 s’inscrit dans cette définition. Elle illustre la démarche de promotion de la coopération transfrontalière en Afrique de l'Ouest par l’expérimentation de terrain, au sein de l’initiative Frontières et Intégrations en Afrique de l’Ouest (WABI) ; initiative menée conjointement avec la DNF 33 Direction Nationale des Frontières du Mali, en la personne de son directeur Aguibou S. DIARRAH. du Mali et Enda/diapol. Le choix de cet espace s’explique par la forte implication des autorités maliennes dans la promotion des « pays-frontière » aussi bien auprès des populations maliennes, que de leurs homologues burkinabé ou des instances régionales ; par l’existence de collaborations transfrontalières anciennes mises en avant lors des différentes missions de terrain ou consultation.

 Elle s’appuie sur l’observation géographique de la tentation naturelle pour une ville comme Mopti (Mali) de se tourner vers Ouahigouya et par delà Ouagadougou (Burkina) plutôt que vers sa propre capitale Bamako. Cette forme de développement local commune à de nombreuses frontières ouest-africaines pendant longtemps peu mise en avant est désormais l’œuvre de nombreuses études et diagnostics (SKBO Sénégambie méridionale..). Surtout, le climat actuel est propice : à l’inscription et la mise en avant du rôle de la coopération frontalière dans le processus de l’intégration régionale, présent désormais dans de nombreux agendas politiques ; à des dynamiques de rapprochement des acteurs locaux transfrontaliers vers les structures institutionnelles.


Premières observations transfrontalières sur l’espace «  Mopti- Ouahigouya »

Quel espace ?

 Adossée au Delta intérieur du Niger, très éloignée de Bamako (650 km parcourus en une journée), Mopti  est le point de départ de la « route du poisson ».  Outre une   incroyable diversité de poissons séchés/fumés dont une bonne partie part pour le Burkina et le Ghana, on y commerce  le sel de Tombouctou et l’artisanat Touareg, des légumes de la vallée du Sourou au Burkina,  des meubles fabriqués au Ghana.  La ville, qui compte 130 000 habitants 4, voit sa population augmenter de 10 000 personnes le jeudi jour de la foire. 

 A 180 km au nord-ouest de Ouagadougou et 60 km de la frontière malienne, Ouahigouya la capitale du royaume du Yatenga (60 000 hab) est à la fois chef-lieu de province, de département et de commune. Quatrième ville du Burkina Faso, sa vocation est essentiellement agricole et pastorale. Son marché géré par l’Etablissement Public Communal pour le Développement (EPCD) s’inscrit dans le cadre d’une expérience nationale dont la vocation est de développer l’économie locale des villes secondaires. Il est le premier générateur de revenus pour la commune, qui en est propriétaire.

 Les deux communes (Mopti et Ouahigouya) sont jumelées.  Les visites et échanges entre les deux villes sont régulières : Ouahigouya s’est par exemple rendue récemment à Mopti pour visiter l’abattoir en prévision de la construction de sa propre infrastructure ; Mopti a demandé à Ouahigouya de lui faire bénéficier de son expérience en matière de gestion du marché central ;  visites d’enseignants, tournois sportifs. Etc. L’ampleur de cette dynamique pourrait croître si le simple « jumelage » s’ouvrait vers un véritable cadre de coopération économique.


Quelques données et secteurs transfrontaliers

 Des relations familiales se sont tissées à la faveur des mariages intercommunautaires. Elles créent et perpétuent des formes de participation sociale de part et d’autre : partage de coutumes, célébration de fêtes traditionnelles, assistance dans les évènements sociaux (mariages, baptêmes, funérailles). Les pratiques partagées vont jusqu’au  recours à l’autorité administrative pour le règlement des litiges. La petite ville de Koro du côté malien, à une trentaine de km de la frontière du Burkina illustre ces dynamiques. Ses habitants et ceux des 32 villages environnants (dans une aire traversée par la frontière) descendent de Anaye, son fondateur d’origine mandingue.  La branche aînée de la famille vit dans le village de Kaïn qui se trouve au Burkina. Aujourd'hui encore, pour régler les conflits entre les villages, les autorités maliennes (maire, préfet de cercle…) font appel aux sages de Kaïn dont le verdict est toujours accepté par la population….

 Enfin, les relations sociales transfrontalières dépassent souvent le cadre familial pour s’étendre à celui de la communauté atteignant une échelle de l’ordre du village, de la commune, du cercle voire même régionale.

 Les circuits commerciaux sont constitués de marchés semi-ruraux « où des commerçants de centres urbains proches tournent et où des colporteurs d’approvisionnent » : c’est le cas des marchés, de Douna (vendredi), Madougou (lundi), Pel (dimanche), Tiroli (lundi) et Kopropé (lundi, Youdiou (jeudi) dans le cercle de Koro, de Nongodoum (lundi), Kaïn (vendredi) côté burkinabé ; des marchés de village où ces mêmes colporteurs tournent le reste de la semaine avant de se retrouver un jour de la semaine dans le grand centre urbain (samedi à Koro, mardi à Bankass).

 L’axe Mopti-Ouahigouya connu sous le nom de « route du poisson » est la principale voie de communication empruntée par les transporteurs et les commerçants. Il a subi une déviation depuis l’aménagement et le bitumage de la route Sévaré-Bandiagara, et la dégradation très prononcée du tronçon Somadougou-Ouo. Il s’ensuit que les véhicules vont de Mopti à Sévaré, Bandiagara, Ouo, Bankass, Koro, puis Ouahigouya. Bien que praticable, cette route internationale a besoin de travaux de réhabilitation, en particulier entre Bandiagara et Koro. A partir de cette dernière, les autres voies d’accès au Burkina sont pour la plupart des pistes praticables sur des terrains à texture sableuse et sablo-limoneuse du côté malien, avec des passages difficiles en hivernage. On note aussi l’existence de pistes empruntées par les trafiquants. Ce sont généralement des chemins sous-bois, des vallées de rivières (le Sourou en l’occurrence), des zones de marécage d’hivernage où les véhicules ne peuvent pas s’aventurer.

 Quant au trafic de marchandises, les chiffrent officiels11 Fournis par la Direction Régionale de la Douane de Mopti l’évaluent à 75 000 t pour l’année 2003, ce qui correspond en valeur à près de 8  milliards FCFA. Ce trafic n’est pas régulier. A l’évidence l’axe a mieux fonctionné avec la crise ivoirienne et le déplacement du circuit d’approvisionnement en direction du Bénin, du Ghana et du Togo. On retiendra cependant que le seul bureau de douane pour le carburant au Mali est à Bamako. A l’exclusion donc de ce produit l’augmentation de l’affluence entre 2002 avant la crise et 2003 avec la crise peut s’apprécier à l’évolution du chiffre de TIE (transit routier inter-Etats) qui est passé de 800 en 2002 à 2.400 en 2003, soit un passage du simple au triple. L’axe Mopti-Ouahigouya voit également le transport du bétail,  sésame, sel gemme, des céréales, et nattes à l’exportation et du ciment, des légumes, tubercules à l’importation. Pour les produits en provenance du Burkina, le circuit informel est très important.

 En ce qui concerne la gestion des ressources naturelles, Michel Arnaud fait observer qu’il « arrive que la frontière partage le terroir traditionnel d’un village, d’une communauté et oblige des paysans à traverser la frontière pour cultiver un champ. Il arrive que les administrations territoriales de deux pays soient appelées à prévenir ou à régler des conflits parce qu’une frontière empêche un village, voire une communauté ethnique de poursuivre une conquête …….de terres inoccupées ou peu occupées… ». On pourrait dire que les agro-éleveurs des deux côtés de la frontière ont su inventer et mettre en œuvre depuis longtemps une formule de gestion équilibrée des parcours de leurs animaux, adaptée aux capacités différentes de leurs terroirs. Il est évident que des frictions persistent pour la cohabitation agriculture-élevage.


Les politiques de décentralisation burkinabé et malienne 5

 Dans le cadre des Politiques d'Ajustement Structurel (PAS) et de décentralisation, l’état burkinabé est régi par des lois spécifiant  notamment :

  • les compétences de l'Etat et des acteurs de développement ;

  • l'organisation de l'administration du territoire ;

  • le fonctionnement des collectivités locales ;

  • la mise en œuvre de la décentralisation ;

  • la création de régions.

 Les collectivités locales dotées de la personnalité morale et de l'autonomie financière comprennent : la région, la province et la commune (urbaine et rurale). Seules 33 communes urbaines sont effectivement en place. Le processus de décentralisation en milieu rural avance lentement et rencontre des obstacles liés au manque de formation des élus, des fonctionnaires territoriaux, d’appui aux communes ou financement de transfert.

 La décentralisation malienne est plus avancée en termes de nombre de collectivités et de couverture territoriale : 701 communes, 49 cercles et 9 régions. Toutefois, le transfert de compétences n’est pas encore réalisé et les fonctions des différents niveaux de collectivités non définies. Ainsi, le partage du foncier et du patrimoine entre les différentes collectivités et l’Etat n’est pas réalisé ; la question du financement du développement local en suspens. Jusqu’en 2002, l’Etat crée de nouvelles cellules pour travailler à la mise en œuvre de la nouvelle politique d’aménagement du territoire favorisant il faut l’espérer la coordination des politiques sectorielles de l’Etat et en les plaçant au service d’une vision territoriale.

 Ces politiques de décentralisation divergent dans leur processus d’application et dans leur stade de développement.  En préalable à la coopération transfrontalière, la tentation est donc grande de proposer une modification ou une harmonisation régionale des  textes législatifs régissant la décentralisation.

 L’expérience européenne nous montre toutefois qu’en dehors des avancées internes des processus de décentralisation, les différentes échelles existantes n’empêchent ni ne freinent les coopérations et dialogues transfrontaliers. De nature spontanée ou favorisées par des politiques étatiques qui les « légalisent », elles peuvent se développer entre structures dont les pouvoirs décisionnels varient. Un des principaux enjeux de la collaboration transfrontalière, dans ce contexte, réside dans la capacité des acteurs à s’appuyer sur les initiatives existantes et à trouver les interlocuteurs adéquats.


Echelles d’intervention et contraintes institutionnelles :

Privilégier le pragmatisme

 L’espace transfrontalier, vecteur de l’intégration régionale, indifféremment de l’échelle considérée. A travers l’exemple de la zone frontalière Mopti- Ouahigouya, le propos est de montrer comme le souligne M. Michel Arnaud 6 que le concept de « pays-frontière » et son contenu s’appliquent à des espaces et à des populations englobant des échelles variables et que chacune construit l’intégration régionale :

  • « Ainsi, au niveau purement local, les populations des deux pays sont affectées par des problèmes identiques liés : au partage d’un même terroir par la frontière, aux relations familiales, à la fréquentation de marchés frontaliers, d’écoles, de dispensaires d’un pays par les populations frontalières venant de l’autre pays, etc. La frontière n’est rarement ici considérée comme barrière.

  • Une vision plus élargie incorporant les villes les plus proches et les villages dont ces villes sont les marchés centraux, pose d’autres problématiques. La frontière traversant ce système de marchés peut pénaliser le fonctionnement de l’économie locale. De même, les infrastructures routières reliant ce réseau de marchés sont presque toujours insuffisantes et de mauvaise qualité dans les zones frontalières par peur de multiplier les points d’entrée et de sortie. A ce niveau, de véritables contraintes existent qu’une coopération transfrontalière pourrait aborder.

  • En prenant encore un peu plus de hauteur, la problématique devient celle des unités de paysages et de terroirs marquées par un même système agricole. Une stratégie de développement agro-pastoral commune valorisant les expériences diverses des populations locales est concevable même sans harmonisation des politiques nationales ou sectorielles : de la qualité des semences à la commercialisation, en passant par les intrants et le progrès technique agricole et pastoral, la formation des acteurs et l’information sur les marchés.

  • Enfin, l’échelle purement régionale ouest-africaine permet d’appréhender une économie sous-régionale, à la fois urbaine et rurale. Un espace frontalier peut être plus proche de la capitale du pays voisin que de celle de son propre pays… ».

 

« Chacune de ces échelles d’action transfrontalière implique la définition d’un cadre et d’instruments adaptés qui respectent la diversité et l’imbrication d’acteurs différents. Il importe donc de ne pas s’enfermer dans une définition spécifique mais de promouvoir un environnement propice à l’intégration spontanée. Le cadre incontournable de cette intégration par le local est celui d’une forme de souveraineté partagée. Les modalités et les niveaux de cette approche sont multiples, toutefois s’articulent autour de l’espace vécu historique, géographique, économique et culturel. Il est aussi dynamique sous l’effet de l’urbanisation, de la densification en milieu rural, des migrations et de la mondialisation du commerce. La négociation peut déboucher sur la mise en place d’équipements collectifs, le développement de solidarités, l’amélioration de la compétitivité de filières économiques, etc ».


Œuvrer ensemble dans le respect des compétences de chaque acteur de l’intégration

 A l’échelle des villages, le transfrontalier est davantage vécu comme « l’absence de frontière ». Au niveau des élus communaux, les activités de jumelage (Mopti- Ouahigouya, Koro-Thiou) progressent. Toutefois, les collectivités peinent à cibler les bons interlocuteurs ou surtout se bloquent face à des niveaux et approches de décentralisation divergentes. Le transfrontalier est alors perçu comme un vaste chantier d’opportunités pour une coopération dynamique comportant des échanges entre les infrastructures techniques, éducatives, commerciales ou de santé ; à laquelle il manque une articulation qui ne peut venir que d’une décision étatique et d’une concertation avec les autorités concernées (ministères, préfectures, communes…).

 Comme l’illustre l’étude de l’espace Mopti-Ouahigouya, les acteurs locaux frontaliers, publics et privés «inventent des solutions concrètes» aux problèmes spécifiques qui sont les leurs. Ces initiatives se heurtent toutefois à des limites que le seul niveau local ne peut résoudre. Mais il est nécessaire de les recenser, de les documenter et de les porter à la connaissance des responsables nationaux et régionaux pour lesquels elles pourraient constituer une source de motivation et d’inspiration. A l’image d’autres régions du monde, les préoccupations frontalières ne sont pas inscrites dans les agendas prioritaires nationaux, peut être parce que les opportunités économiques ou sociales qui s’en dégageraient ne sont pas immédiatement décelables. En tant qu’organisation régionale, la CEDEAO a ici un rôle à jouer auprès des Etats pour favoriser ce rapprochement de l’intégration « par le haut » et « par le bas » et combler cette articulation entre acteurs locaux et institutionnels pour des objectifs qui se concrétisent diversement mais participent pour chacune des échelles concernées à la construction de l’intégration régionale.



M. T.





Notes:

1 Le lancement du concept de « pays-frontière2 », par l’ex-Président malien Alpha Oumar Konaré, vise notamment à transformer les régions frontalières en zones de contact et d’échanges. Il se base sur la décentralisation pour favoriser le développement à travers la création de zones d’intégration de proximité. La frontière est alors assimilée au « pays-frontière » : un espace de quelques kilomètres (ou d’une dizaine de kilomètres) de large, de part et d’autre de la ligne frontalière. Il se prête au développement du dialogue, des solidarités, des complémentarités, et favorise une circulation sans entrave intégrant les problèmes de vie quotidienne des populations situées de part et d‘autre des frontières.

2 Ouagadougou, juillet 2003, réunion à l’invitation de l’UEMOA et à l’initiative de la DNF malienne, organisée par le SCSAO et Enda/Diapol. Le CR de l’atelier est disponible sur le site www.afriquefrontieres.org

3 Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest

4 Direction Nationale des Frontières du Mali, en la personne de son directeur Aguibou S. DIARRAH.

5 Sikasso-Korogho-Bobo Dioulasso, études Ecoloc aujourd’hui portées par le Partenariat du développement municipal.

6 ARNAUD M., (juin 2003), Réflexions sur le concept de « pays-frontière » et l’intégration régionale, Etude réalisée pour le CSAO, Ed. WABI.


 L’ensemble des études citées dans cet article est disponible sur le site www.afriquefrontieres.org.