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Actualités
01.07.2008
-  élections
Bienvenue
L E S   C A H I E R S   D E 
             L ' A F R I Q U E
            R e v u e   d'é t u d e   e t   d e   r é f l e x i o n   s u r   l e   m o n d e   a f r i c a i n


La lutte contre le paludisme










Une volonté politique
à long terme

                                                          Christophe Rogier, Bruno Pradines, Thierry Fusaï *  
                                                                                         






*Christophe Rogier, Bruno Pradines et Thierry Fusaï sont médecins et pharmaciens dans l'Unité de Recherche en Biologie et Epidémiologie Parasitaire de l'Institut de Médecine Tropicale du Service de Santé des Armées, au Pharo, à Marseille, France.








  En1998, l'Organisation Mondiale pour la Santé, le Programme des Nations Unies pour le Développement et la Banque Mondiale lançaient  « Roll Back Malaria » (faire reculer le paludisme) pour catalyser un engagement global des communautés nationales et internationales dans la lutte contre le paludisme, une maladie trop longtemps négligée. Cette maladie, la malaria des anglo-saxons, est un frein important au développement, particulièrement en Afrique. L'objectif affiché était de diviser par deux le nombre de cas et le nombre de décès par paludisme entre 2000 et 2010. Les engagements n'ont pas manqué. Déjà en 1997, la « Multilateral Initiative on Malaria » (Initiative multilatérale contre le paludisme) avait été formée pour relancer des recherches en collaboration. En 2000, les Nations Unies ont déclaré la période 2001-2010 comme la décade de lutte contre le paludisme (Résolution 55/284 de l'Assemblée Générale des Nations Unies) et cette lutte a figuré en bonne place sur les buts des Nations Unies pour le nouveau millénaire (1). La même année, les Chefs d'Etats africains réunis à Abuja se sont solennellement engagés à lutter contre le paludisme. En 2001, les ressources allouées contre le paludisme ont été sensiblement augmentées par la création du Fonds Global (Global Fund) qui a pour cible le SIDA, la tuberculose et le paludisme.1

En 2005, à mi-parcours de la décade « Roll Back Malaria », où en sommes nous ?
Il est temps, en effet de faire un bilan, de prendre conscience des difficultés rencontrées, de faire le point des mesures de lutte dont nous disposons ou que nous espérons mettre au point prochainement et de redéfinir les stratégies contre le paludisme. Construite et établie jusqu'à présent sur le modèle de larges campagnes, limitées dans le temps, la lutte contre le paludisme, comme celle qui vise le sous-développement, relève plutôt d'une politique à long terme.


Une situation catastrophique qui empire

 Dans leur rapport 2003 sur la situation du paludisme en Afrique 2 , l'OMS et l'UNICEF dressent un sombre tableau. Environ 90% des décès par paludisme dans le monde surviennent en Afrique Noire, au Sud du Sahara. On estime généralement à un million par an le nombre de ces décès en Afrique, la plupart survenant chez des enfants âgés de moins de 5 ans. Il y a plusieurs raisons à cela. La majorité des infections en Afrique sont dues à Plasmodium falciparum, le plus dangereux des quatre parasites du paludisme humain et ce parasite y est souvent inoculé par un des moustiques les plus efficaces, Anopheles gambiae, contre lequel la lutte est particulièrement difficile.
Pratiquement toutes les populations vivant entre le Sud du Sahara et le 28° parallèle Sud sont exposées au paludisme. Le paludisme y serait responsable de 25 à 45% des consultations et de 20% à 50% des hospitalisations. Cependant, moins de 40% des cas et des décès par paludisme seraient vus dans les structures sanitaires. Le poids réel du paludisme est donc sous-estimé par les systèmes de santé et un grand nombre de cas ne peuvent bénéficier des soins dont ils ont besoin.

 Dans la plupart des régions d'Afrique où le climat est chaud et humide, la transmission est régulière et élevée, les infections sont communes et il n'est pas rare, surtout en milieu rural, de trouver plus de 75% de la population infectée par le parasite. Ces populations très exposées finissent par développer une immunité imparfaite et labile qui leur permet de supporter le parasite sans être constamment malade. Cette immunité n'est acquise à l'adolescence qu'au prix d'une mortalité infantile élevée et de plusieurs dizaines d'épisodes de fièvre, les accès palustres, potentiellement mortels. Le traitement de ces accès est onéreux et grève sérieusement le budget des ménages. La répétition des accès palustres, à l'âge scolaire, limite aussi l'acquisition des connaissances.

 Dans les régions plus sèches et les régions d'altitude au climat plus tempéré, la transmission est moins importante et moins régulière. Une immunité moins efficace peut être acquise plus tardivement, chez les adultes âgés, toujours au prix d'une mortalité et d'accès palustres qui touchent alors les enfants et les jeunes adultes. Cette morbidité limite à la fois les apprentissages scolaires et la productivité des travailleurs. Lorsque la transmission est exceptionnelle, une immunité est rarement acquise; le paludisme peut avoir un caractère épidémique. Il touche et tue alors indistinctement les adultes et les enfants. Les grandes villes d'Afrique noire constituent une situation épidémiologique particulière. L'écosystème n'y est souvent pas favorable aux moustiques anophèles et la transmission du paludisme peut y être faible ou nulle. Il existe ainsi, au milieu de zones rurales où le paludisme est endémique, des zones urbaines qui concentrent une partie de plus en plus importante des populations à l'abri de sa transmission. Ces populations urbaines ne peuvent pas acquérir d'immunité naturelle. Elles sont donc susceptibles d'être victimes d'infections potentiellement mortelles à l'occasion d'épidémies ou de séjours en dehors de la ville, quel que soit leur âge.

 Le paludisme pèse plus lourdement sur la santé des populations les plus pauvres. Elles seraient touchées 40% fois plus que les populations riches. Le coût du traitement du paludisme peut représenter plus de 30% des revenus des premiers alors qu'il représente moins de 1% de ceux des seconds.

 Le paludisme peut tuer de trois manières.
  • Il existe d'abord des formes graves de paludisme qui surviennent à l'issue d'accès de fièvres non traités, mal soignés ou traités avec retard. Elles se manifestent le plus souvent par un coma, des convulsions ou des troubles respiratoires. Parmi les enfants qui survivent à un paludisme avec atteinte cérébrale, 6 à 12% souffriraient de retards mentaux, de troubles de l'apprentissage, d'épilepsie ou d’autres séquelles neurologiques souvent définitives.
  •  Des infections répétées peuvent provoquer une anémie grave chez les jeunes enfants.
  • Enfin, les femmes infectées au cours de leur grossesse peuvent avorter ou donner naissance à des enfants de faible poids qui sont particulièrement fragiles aux affections comme le paludisme, les diarrhées et les infections respiratoires. On estime qu'environ 20% des décès d'enfants de moins de 5 ans seraient dus au paludisme. Plasmodium falciparum, le principal agent du paludisme, est donc le microorganisme responsable du plus grand nombre de morts en Afrique.

 Alors que la mortalité, toutes causes confondues, des enfants de moins de 5 ans a diminué régulièrement de 1960 à 1990, grâce à l'amélioration de l'accès aux soins et aux programmes de vaccination, cette diminution marque le pas depuis les années 90. Les raisons peuvent être multiples comme l'exposition au paludisme plus fréquente de population peu ou non immunes, l'émergence du SIDA ou la détérioration des programmes de lutte et des systèmes de santé. La principale raison est cependant l'émergence et de la diffusion de la résistance de Plasmodium falciparum aux médicaments antipaludiques. Pendant une trentaine d'années, la chloroquine était un médicament efficace, peu toxique et bon marché qui permettait à chaque structure sanitaire et, en pratique, à chaque famille, de traiter le paludisme et d'en prévenir la létalité. Depuis le milieu des années 80, l'augmentation de la résistance à la chloroquine, le médicament utilisé en première intention, et à la sulfadoxine-pyriméthamine, le médicament de remplacement, s'est accompagnée d’une multiplication par deux à onze du nombre de décès par paludisme, notamment chez les plus jeunes. La situation du paludisme qui n'était pas bonne, empire donc dans des proportions catastrophiques. Comme la plupart des cas et des décès ne sont pas vus dans les structures sanitaires, ce désastre est resté et reste encore parfois inconnu du système de santé et des responsables politiques.


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Les moyens disponibles
et les obstacles à une lutte efficace

 Nous disposons de plusieurs moyens de lutte. Il s'agit de contrôler les populations de moustiques par des insecticides ou l'aménagement du milieu, de limiter le contact entre les anophèles et les individus par des moustiquaires imprégnées d'insecticide et de prévenir ou de traiter les infections par des médicaments.

Contrôler les populations de moustiques

 La lutte contre les moustiques par l'assèchement des marais et des gîtes larvaires, l'utilisation de larvicides ou la pulvérisation de DDT sur les murs des maisons pour tuer les anophèles adultes qui s'y posent a permis de sauver des millions de vies et est encore appliquée en Asie et en Amérique Latine. Le coût de cette lutte a cependant un coût très élevé et nécessite une logistique complexe et une compétence technique peu répandue en Afrique. La biologie et le comportement des principaux anophèles africains limitent aussi son efficacité. Anopheles gambiae, un des vecteurs du paludisme les plus efficaces et les plus répandus en Afrique, pond ses œufs et voit ses larves se développer dans de petites collections d'eau ensoleillées comme les traces de pas ou de sabots laissées dans le sol à la saison des pluies. Il est donc pratiquement impossible de supprimer ou de traiter par insecticide ce type de gîtes larvaires en milieu rural. Anopheles funestus, un autre anophèle qui transmet très efficacement le paludisme, peut pondre ses œufs dans les marais et les rizières. Si les premiers peuvent être aménagés et asséchés sans inconvénient, mais au prix d'efforts importants, il n'en est pas de même des secondes qui assurent la subsistance des populations.

 L'assèchement intermittent de canaux ou de collections d'eau, leur colonisation et leur protection par des poissons larvivores, leur traitement par insecticide ne peuvent être appliqués que dans certaines circonstances, contre certains vecteurs. Ils ne sont pas utilisables partout et nécessitent à la fois une expertise entomologique pour analyser localement la situation, mettre en œuvre et adapter ces méthodes de lutte. La pulvérisation d'insecticides sur les murs permet de tuer les moustiques adultes qui se reposent à l'intérieur des maisons. Il s'agit d'une méthode de lutte efficace contre les anophèles ayant ce comportement. Elle est inefficace contre les anophèles qui se reposent à l'extérieur des habitations. Cette pulvérisation intradomiciliaire a été utile pour contrôler des épidémies dans certaines régions comme sur les hauts plateaux de Madagascar. Le DDT a été un insecticide de choix pour ce genre d'intervention. Son effet persiste longuement et il est bon marché. Pour protéger l'environnement de son emploi extensif en agriculture, une campagne a été menée pour son bannissement et son remplacement par d'autres insecticides, qui sont tous plus chers et à durée d'action plus courte. Cette restriction prive les pays en développement d'un moyen de lutte abordable. Les pulvérisations d'insecticide intra domiciliaires sont malgré tout laborieuses, coûteuses en main d'œuvre et nécessitent une certaine technicité.

 L'aspersion spatiale extradomiciliaire, par aéronef ou par des diffuseurs embarqués sur véhicules, n'a pratiquement aucune utilité pour lutter contre les anophèles. Leur intérêt n’est souvent que démonstratif, sans aucune efficacité sanitaire et à un prix prohibitif. L’argent consacré à ce type d’intervention spectaculaire est gaspillé au détriment de moyens de prévention ou de traitement bien plus utiles pour sauver des vies.

 L'utilisation intensive d'insecticides en agriculture a favorisé l'apparition de populations d'anophèles résistants à certains insecticides. Cette résistance, encore peu répandue, compliquera encore la lutte contre les anophèles en Afrique. Ainsi, pour des raisons techniques, financières, environnementales et, surtout, liées au comportement et à la biologie des anophèles, les méthodes de lutte reposant sur le contrôle de leurs populations ne peuvent avoir qu'un impact limité sur le paludisme en Afrique.


Des moustiquaires pour limiter le contact
entre moustiques et personnes

 Depuis une quinzaine d'années, l'utilisation de moustiquaires imprégnées d'insecticide est présentée comme un moyen de protection contre les piqûres d'anophèles. De nombreuses études ont largement démontré l'efficacité de cette méthode. Lorsqu'elle est bien appliquée, elle permet de diminuer de 20% la mortalité, toutes causes confondues, chez les enfants de moins de 5 ans. Elle permet aussi de diviser par deux le nombre d'accès de paludisme. Chez les femmes enceintes, elle diminue le risque d'anémie, d'infection du placenta et de naissance d’enfants de petit poids.

 Plusieurs facteurs limitent cependant l'impact de cette mesure de lutte sur la santé des populations. La proportion des africains dormant sous moustiquaire est encore inférieure à 2% bien que l'objectif affiché par "Roll Back Malaria" était de protéger au moins 60% des enfants de moins de 5 ans et des femmes enceintes avant 2005 ! De nombreux états ont pourtant diminué les taxes et les tarifs pour faciliter l'accès aux moustiquaires et de larges campagnes de promotion ont été réalisées. Elles sont manifestement encore insuffisantes. Le coût moyen d'une moustiquaire est d'environ trois euros, soit la somme que la plupart des pays consacrent par individu à la santé. Un autre problème est celui de la ré-imprégnation des moustiquaires. L'insecticide permet à une moustiquaire de rester protectrice même si elle est trouée, par son  effet répulsif, et de tuer les moustiques qui se posent sur le tulle. L'effet des insecticides utilisés classiquement dure à peine quelques mois et il est nécessaire de ré-imprégner les moustiquaires régulièrement. Cette ré-imprégnation ou l'imprégnation des moustiquaires déjà utilisées dans les maisonnées ont un coût et ne sont pas encore entrées dans les habitudes des populations. En effet, elles cherchent d'abord à se protéger des nuisances et ne perçoivent pas l'intérêt de l'imprégnation par insecticides. Il existe à présent des moustiquaires dont l'insecticide intégré ou fixé à la fibre a une durée d'action prolongée, de l'ordre de plusieurs années, soit la durée de vie de la moustiquaire. Ces nouveaux matériaux sont encore peu disponibles faute de producteurs et d'un coût relativement élevé, de l'ordre de quatre à cinq euros.

 Une dernière limitation à l'intérêt de cette méthode de protection tient à la relation entre l'exposition à la transmission du paludisme et l'acquisition d'une immunité. La plupart des essais de moustiquaires ont duré un an ou deux. Certaines études ont évalué l'impact des moustiquaires sur des périodes plus longues, généralement moins de 5 ans. L'impact à long terme, sur une dizaine d’années ou plus, d'une diminution de la transmission sur l'immunité des populations n'a pas encore été évalué. D'autres études ont comparé le poids du paludisme dans des populations exposées naturellement à des niveaux de transmission très différents mais surveillées sur le plan sanitaire de façon comparable. Ces études montrent paradoxalement qu'entre deux et mille piqûres infectantes par personne et par an, le poids global du paludisme en termes de nombre d'accès palustres, de formes graves ou de décès était sensiblement le même. On considère ici l'ensemble de la population et pas seulement les enfants âgés de moins de 5 ans. Les différentes situations de transmission ne se distinguent que par l'âge auquel les individus sont le plus atteints : plus le niveau de transmission est élevé plus ce sont les jeunes enfants qui sont touchés, moins il est élevé plus les grands enfants et les adultes sont concernés. L'impact à long terme des mesures de protection contre les anophèles qui ne peuvent, au mieux, que diviser par dix la transmission, est donc incertain. Cet impact pourrait n'être durable que dans les zones où la transmission est naturellement faible et irrégulière, inférieure à une ou deux piqûres infectantes par personne et par an : dans les zones semi-arides, en altitude ou dans les villes.


Des médicaments pour prévenir
ou traiter les infections

 L'accès rapide à un traitement efficace et sûr est certainement le meilleur moyen pour limiter l'impact du paludisme. Pendant une trentaine d'années, la chloroquine a été le "médicament miracle". Peu coûteux, relativement peu toxique et facile d'emploi, il était disponible pratiquement partout, jusque dans les maisonnées, et permettait de sauver des millions de vies. Comme nous l'avons dit, la résistance de Plasmodium falciparum à la chloroquine a peu à peu limité son efficacité. Peu après, le parasite est devenu résistant au médicament de deuxième ligne, la sulfadoxine-pyriméthamine. En quelques années, l'incidence des cas graves et le nombre de décès a été multiplié par deux à onze, selon les régions et l'âge des patients. La prise de conscience de l'ampleur de ce problème a été retardée pour deux raisons. D'une part, très peu d'études ont porté sur la mortalité par paludisme dans les années 80. D'autre part, la surveillance de la sensibilité du parasite à la chloroquine reposait sur l'étude de l'efficacité de ce médicament chez de jeunes malades atteints d'une forme simple de paludisme. Dans les populations vivant en zones de forte transmission, l'acquisition d'une immunité naturelle permet de guérir des manifestations cliniques du paludisme sans supprimer pour autant les parasites du sang. Elle limite aussi la fréquence des formes graves et des décès. Dans ces régions, on compte généralement moins de 1 décès pour 100 accès palustres, même en l'absence de traitement. Dans ce contexte, l'observation de la persistance des parasites dans le sang malgré un traitement par la chloroquine n'était pas interprétée comme un signe alarmant nécessitant de bouleverser la politique nationale de traitement du paludisme. Il existait peu de médicaments de remplacement et ces derniers étaient souvent plus onéreux, plus toxiques ou plus difficiles d'emploi. Par ailleurs, beaucoup de ces médicaments de remplacement appartiennent aux mêmes familles de molécules. On pouvait alors craindre que la résistance du parasite à une de ces molécules s'étende rapidement aux autres membres de la famille.

 Il est clair à présent que le traitement du paludisme devrait reposer sur une combinaison de médicaments comprenant un dérivé de l'artémisinine. Ce dernier est extrait d'une plante médicinale chinoise, l’Artemisia annua ou quing-hao. Il permet de supprimer rapidement les parasites, de réduire les risques d'évolution vers les formes graves, de limiter la transmission et de retarder la sélection de la résistance du parasite aux molécules associées. Son utilisation en combinaison avec une molécule conservant encore une certaine efficacité, comme l'amodiaquine par exemple, permet de réduire la mortalité par paludisme aux niveaux observés avant l'émergence de la résistance à la chloroquine. L'utilisation de ce genre de combinaison thérapeutique reste encore trop peu répandue. Le déficit de production de dérivés de l'artémisinine de qualité et leurs coûts élevés expliquent en partie ce retard. De vives controverses ont porté sur l'opportunité d'utiliser ces combinaisons thérapeutiques comme traitement de base dans les zones d'endémie. Même si les dérivés de l'artémisinine étaient largement disponibles, la plupart des états africains n'auraient en effet pas les ressources financières pour les acheter. Un traitement utilisant ces dérivés est 10 fois plus cher (0,8 à 2,3 euros) qu'un traitement par chloroquine (0,10 euro) ou par sulfadoxine-pyriméthamine (0,11 euro).

 Dans cette situation, les pays africains peuvent être soumis à des pressions importantes, notamment de la part de pays donateurs comme les USA dont un responsable de l'aide au développement a pu déclarer que les dérivés de l'artémisinine étaient trop chers et pas à l'ordre du jour 3. De façon plus troublante, il semble que des avis du Fonds Global approuvés par des représentants de l'OMS, aient favorisé le financement de traitements du paludisme par la chloroquine ou la sulfadoxine-pyriméthamine dans des pays où ces médicaments n'étaient plus assez efficaces. Nombre des experts du Fonds Global auraient eu des liens avec l'USAID. Une telle attitude peut avoir retardé le changement de stratégie thérapeutique et le contrôle de la surmortalité due aux résistances dans plusieurs pays. Cela a poussé des chercheurs à accuser le Fonds Global et l'OMS de "mauvaise pratique" en matière de traitement du paludisme et d'être responsables de décès qui auraient pu être évités 4. Cette situation était d'autant plus paradoxale que l'OMS soutenait par ailleurs le recours aux combinaisons thérapeutiques et que le Fonds Global déclarait suivre ses avis. Il n'en demeurait pas moins que l'importance de l'appui offert par le Fonds Global à une stratégie thérapeutique inadaptée pouvait avoir un effet pervers dramatique.

 Les responsables institutionnels et les experts de ce domaine collaborent à présent pour résoudre ce problème et rendre plus facile l'accès aux combinaisons thérapeutiques incluant un dérivé de l'artémisinine. Le choix de la combinaison et la mise en place des traitements jusque dans les structures sanitaires périphériques nécessite une expertise et des efforts importants des états africains pour la formation, la communication, l’enregistrement des nouveaux médicaments, l’approvisionnement et la gestion des stocks pharmaceutiques. Cet objectif ne peut donc être atteint qu'en respectant l'autonomie de ces nations tout en soutenant les standards et politiques thérapeutiques définis au niveau international. En 2004, un nouveau rapport de l’US Institute of Medicine (Institut de Médecine des USA) qui conseille le gouvernement fédéral américain en matière de politique sanitaire, a enfin appelé à un soutien financier de l'achat des combinaisons thérapeutiques contenant un dérivé de l'artémisinine. Cela fait plusieurs années déjà que l'organisation Médecins Sans Frontières lance le même appel. Elle estime que le Fonds Global devrait même aller jusqu'à obliger les pays demandant le financement de traitements contre le paludisme à opter pour ces combinaisons. En 2005, 16 pays africains devraient avoir choisi ces combinaisons thérapeutiques comme traitement de première ligne du paludisme.

 Ces combinaisons médicamenteuses sont utiles non seulement pour traiter les malades du paludisme mais aussi pour prévenir les conséquences des infections dans le cadre d'une nouvelle forme de chimioprophylaxie. Il a en effet été montré qu'en administrant trois ou quatre doses d'une de ces combinaisons au cours de la première année de vie ou chez les jeunes enfants, il était possible de diminuer de 60% ou plus le nombre d'accès palustres, d'anémie ou de formes graves du paludisme. Ce traitement préventif intermittent peut être donné pendant la saison de forte transmission par des agents de santé communautaire ou à l'occasion des interventions du programme élargi de vaccination. Ce dernier est le programme de contact entre le système de santé et les jeunes enfants qui fonctionne le mieux en Afrique. Un fonds de 28 millions US$ a été donné par la fondation Bill et Melinda Gates pour soutenir l'OMS, l'UNICEF et un consortium de centres de recherches en Afrique, en Europe et aux USA, dans l'étude, la mise au point, la promotion et l'implantation de cette nouvelle méthode de lutte contre le paludisme. Le même type d'intervention peut être envisagé chez les femmes enceintes pour les protéger contre les infections du placenta et réduire la fréquence des naissances d’enfants de petit poids. Des recherches sont cependant nécessaires pour s'assurer de l'innocuité de ce traitement pendant la grossesse et de son efficacité dans les conditions du terrain.


De nouveaux moyens de lutte à l’essai

 Comme nous venons de le voir, les médicaments et les moyens de lutte actuellement disponibles sont limités. Il est probable qu'aucun d'eux ne permettra de résoudre le problème posé par le paludisme. La recherche de nouveaux médicaments ou de vaccins contre le paludisme est donc indispensable.

 En 1973, il y a plus de trente ans, il a été démontré qu'un vaccin pouvait protéger contre le paludisme. La vaccination consistait en un millier de piqûres d'anophèles infectés par Plasmodium falciparum, qui avaient été irradiés. Il ne s'agissait bien évidemment pas d'un vaccin utilisable en santé publique ! Les recherches se sont poursuivies avec des espoirs et beaucoup de déceptions, à l'image de ceux provoqués par le vaccin Spf66. Les recherches continuent et l'on peut raisonnablement espérer la mise au point d'un vaccin utilisable à moyen ou long terme. De nouvelles méthodes d'administration et de nouveaux adjuvants sont susceptibles d'améliorer l'immunogénicité des vaccins. Le nombre d'essais cliniques chez l'homme est en augmentation et le nombre d'équipes qui en sont à ce stade est passé de trois à onze au cours des cinq dernières années. Des fonds ont été alloués par la communauté européenne à leur réalisation à travers l'European Malaria Vaccine Initiative. Un des obstacles à l'obtention d'un vaccin utilisable pour protéger les populations est le manque de sites et de compétences pour réaliser ces essais.

 La Communauté européenne soutient actuellement un programme pour développer les essais cliniques, l'EDTCP 5. Son but est de soutenir les essais de médicaments ou de vaccins contre le paludisme, le VIH/SIDA et la tuberculose, en particulier en Afrique subsaharienne, le développement des capacités des institutions africaines pour mener ces essais et la promotion d'une approche plus intégrée de la recherche européenne. A ce jour, 39 sites d'essais médicamenteux et 10 sites d'essais vaccinaux antipaludiques se sont portés volontaires. Leur sélection et leur évaluation sont en cours. Ce programme vise à évaluer l'intérêt de nouveaux médicaments ou vaccins pour la santé publique et à faire émerger des chefs de file africains dans le domaine de la recherche clinique qui puissent efficacement conseiller les décideurs des politiques sanitaires.


Une vrai politique !

Que manque-t-il donc pour contrôler le paludisme ?

 Il est souhaitable de lancer et évaluer ensemble et non pas en parallèle des approches complémentaires, contre les moustiques vecteurs du paludisme et contre les infections au moyen des médicaments actuellement disponibles. Cela doit être mené à l'échelle de vastes régions ou de pays pour démontrer leur faisabilité et leur efficacité sur l'impact global du paludisme. Des fonds de plus en plus importants pourraient alors être dégagés et investis dans la santé.

 Le paludisme pourrait par exemple être éradiqué de grandes métropoles africaines à la fois en s'attaquant aux gîtes larvaires des anophèles qui y sont généralement peu nombreux et très localisés, et en traitant par des combinaisons médicamenteuses efficaces les personnes infectées qui, faute d'immunité, sont le plus souvent malades.

 De telles stratégies nécessitent des compétences en paludologie, une volonté politique et des ressources financières importantes. Il ne s'agit pas de lancer une campagne mais bel et bien de construire, sur le long terme, une politique de lutte contre le paludisme qui, par bien des égards, se confond avec une politique de développement économique, sanitaire et social. Cela avait déjà été pointé par Boyd… en 1939 !



Ch. R., B. P., Th. F.

    



Notes:


1   Enregistrements officiels de la 27° session spéciale, supplément 3, document A/S-27/19/Rev.1)

2   WHO/CDS/MAL/2003.1093

3    "not ready for prime time", McNeil. New drug for malaria pits US against Africa. New York Times. 28 mai 2002)

4   The Lancet, vol. 363, 17 janvier 2004, pages 237-240.

5    European and Developing Countries Clinical Trial Partnership