
Chinua Achebe pensait que le pire défaut du Nigéria était un certain état d’esprit des nigérians, et la stupide controverse qui a agité le pays suite à un article le comparant à Wole Soyinka est bien l’exemple d’une perte d’énergie inutile.
Sur internet, on appelle cela « surfer sur le buzz », quand on prend une position volontairement provocante pour faire parler de soi lors d’une occasion populaire, et il semble bien que ce soit le souhait d’un des journalistes de « « , Sam Omatseye.
Ce journal est le deuxième du Nigéria. Il s’adresse d’abord à une élite économique et intellectuelle, et, bien qu’il accueille de nombreuses tribunes d’opinions (comme celle de M. Omatseye), il est assez objectif.
Les arguments de Sam Omatseye contre Chinua Achebe
Alors que tout le pays est en deuil, M. Omatseye a attaqué Chinua Achebe, expliquant qu’il était bien inférieur à Wole Soyinka, qu’il était un bon conteur mais un beaucoup moins bon écrivain que lui, et qu’il était parfaitement normal que le prix Nobel soit allé à ce dernier.
Donc il écrit bonnes œuvres, pas de grandes œuvres,des textes qui ne sont pas traversés par des idées plus profondes que vous verriez dans des travaux plus accomplis. Ceux qui ont lu le Le Monde s’Effrondre avec facilité peuvent être rebutés par certains des ouvrages de Wole Soyinka.
Donc ils ne devraient pas choisir Achebe par ignorance. Ils devraient lire en premier Soyinka. On peut, à juste titre, reprocher à Soyinka d’être obscur et difficile. Mais le grand art n’est pas toujours facile à comprendre.
Ceux qui prétendent apprécier « Le Monde s’Effondre » ne peuvent pas écrire une critique du livre justifiant qu’il soit considéré comme une oeuvre d’art.
Un autre critique littéraire très apprécié, IkhideIkheloa a très rapidement réagi avec indignation :
Vous lisez une merde qui semble écrite par un semi-analphabète, par ce mec, Sam Omatseye, vous en supportez les erreurs grammaticales et la logique aberrante, et votre coeur cesse de battre, de honte et d’embarras – pour l’auteur [Sam Omatseye]
(Ce texte a bien été publié avec ces termes, mais sur Facebook).
D’autres réactions ont suivi, la plupart en faveur de Chinua Achebe, et surtout soulignant l’absurdité qu’il y avait à comparer deux des plus grands auteurs nigérians, pour essayer d’en faire grandir l’un aux dépens de l’autre.
Un débat pas seulement littéraire
Il ne faut pas se leurrer : le tout dernier livre de Chinua Achebe, sorti en 2012, et qui parlait du Biafra et du génocide Igbo, avait rouvert des plaies, et avait poussé un certain nombre de nigérians à le critiquer.
La question de son mérite littéraire comparé à celui de Wole Soyinka n’est pas seulement artistique : c’est aussi déprécier un auteur Igbo, qui n’a jamais renoncé à sa culture, face à un auteur Yoruba.
C’est d’autant plus absurde que Soyinka avait aussi suivi les cours de l’université d’Ibadan, et surtout, qu’il avait fait de la prison pendant la période de la guerre civile, à cause de son soutien déclaré à la République du Biafra.
Mais un débat littéraire
Néanmoins, cela reste un débat littéraire. Et il est agréable, au delà de l’attachement à la personne, de voir qu’un peuple peut se passionner pour ses grands auteurs, au point d’en échanger vertement.
La discussion et la critique littéraire ne peuvent pas toujours être lénifiants. Si, dans ce cas-ci, le débat est mal posé, et sans doute sous-tendu par d’autres objectifs, il reste un débat sur la littérature. Dans quel pays européen verrait-on aujourd’hui cette passion pour l’art d’écrire et les écrivains ?
Le journal a d’ailleurs publié avec Chinua Achebe, et dont je recommande la lecture à nos lecteurs anglophones (Michael, if you read me…)