La poudrière du Kivu
La recrudescence des hostilités dans l'est congolais ramène sur le devant de la scène internationale un conflit enlisé depuis 15 ans. On se souvient qu'en 1993, le couloir oriental de la RDC a explosé à la suite du génocide rwandais, provoquant deux guerres qui déstabilisèrent la région : en 1996, la rébellion AFDL partit du Kivu et renversa le régime Mobutu ; puis en 1998 la guerre s'internationalisa avec la participation de 9 pays africains (Angola, Zimbabwe, Namibie, RDC, Rwanda, Ouganda, Burundi, Tchad, Libye) et une trentaine de groupes armés. Le bilan humanitaire qui en a résulté est le plus terrible depuis la deuxième guerre mondiale : plus de 5 millions de morts au total, des millions de déplacés, le recrutement des enfants soldats et le viol érigé en arme de guerre.
Malgré la fin de la guerre en 2002, la mise en place d'un gouvernement de transition l'année suivante, l'établissement d'un troisième République et la première élection au suffrage universel en 2006, la paix n'est jamais revenue en RDC ; les affrontements ont repris en 2007 et, malgré un cessez-le-feu en janvier 2008, ont gagné en intensité à l'automne 2008 entre les rebelles du CNDP de Laurent Nkunda et l'armée régulière congolaise. La situation humanitaire est à nouveau catastrophique: plus de 250.000 personnes ont été jetées sur les routes, et des dizaines de milliers d'entre elles sont hors de portée des organisations humanitaires à cause de l'insécurité. "Nous faisons face en RDC à un massacre comme il n'y en a probablement jamais eu en Afrique" a déclaré le Ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner. Après quelques hésitations, la Communauté internationale, qui a activement soutenu le processus de paix et de transition démocratique au Congo, renforce ses troupes de maintien de la paix ; le Conseil de sécurité de l'ONU décide dans sa résolution 1843, en novembre 2008, l'envoi de 3000 hommes supplémentaires.
Aujourd'hui, les problèmes sont les mêmes qu'en 1993 et la province du Kivu est devenue une véritable poudrière qui peut à tout moment exploser, impliquant plusieurs pays de la région. Comment expliquer cette nouvelle explosion de violence dans une région enclavée où selon Colette Braeckman, « les morts sont mieux traités que les vivants »…
Dans ce numéro, les contributions s'attachent à revenir sur les racines du mal, qui sont profondes.
La RDC a longtemps été considérée comme le grenier de l'Afrique et ses richesses minières colossales (cuivre, cobalt, coltan, cassitérite, or, diamant, manganèse, pétrole,…) ont fait l'objet de nombreuses convoitises. Son histoire se résume à 500 ans d'exploitation et de pillage, explique Emmanuelle Argenson qui rappelle que depuis le roi belge Léopold II jusqu'à la bataille de Kisangani en 1999 entre le Rwanda et l'Ouganda, les richesses naturelles du Kivu ont toujours fait l'objet d'un contrôle militarisé par des réseaux mafieux régionaux. Aujourd'hui, l'état congolais n'a pas l'autorité nécessaire pour contrôler le Kivu, à plus de 1500 km de la capitale. Les richesses du sous sol sont toujours en toile de fond du conflit actuel, qui laisse apparaître sur la carte une superposition parfaite entre les zones d'affrontements et les zones de richesses minières.
La cohabitation entre les communautés autochtones et allochtones ont toujours été difficiles dans la région des Grands Lacs, en particulier en raison de conceptions différentes de la propriété foncière. Observateur de la vie rurale, Richard Hamani démontre que le Kivu et son voisin le Rwanda ont un destin commun qui s'est construit, depuis l'époque coloniale, au rythme des vagues successives de migrations des banyarwanda. Au centre des querelles, l'occupation de la terre et la question très sensible de la nationalité qui lui est attachée ont envenimé les relations intercommunautaires. Par ailleurs, les relations économiques transfrontalières sont très étroites comme le montre les liens entre les deux villes jumelles frontalières de Goma (Congo) et Gisenyi (Rwanda).
Les fortes violences intercommunautaires dans le Kivu touchent de plein fouet une jeunesse à la fois victime et acteur dans le conflit. En effet, de nombreux jeunes gens quittent leurs villages, sous le coup d'une forte pression démographique, et s'enrôlent dans les milices rurales, seul moyen d'échapper au chômage et à la marginalisation. C'est le cas des Maï Maï, tristement célèbre notamment dans le recrutement des enfants-soldats. Le recours à la violence qui se « carnavalise », observe Luca Jourdan, est aussi la traduction dans l'imaginaire de la jeunesse, d'un accès à la modernité.
Les Maï Maï représentent l'un des plus importants mouvements armés, impliqués dans la crise du Kivu et sont réputés pour le rôle crucial des rituels et du symbolisme de guerre. En Kiswahili, langue bantou, le terme Mayi-Mayi signifie « eau-eau » et se rapporte à un rite mystérieux qui consiste à arroser les jeunes combattants avec de l'eau magique, le mayi, censé les protéger contre les balles. Les Maï Maï contrôlent une partie importante des zones rurales du Kivu ; les traditions guerrières et les alliances militaires à géométrie variable font craindre, remarque Luca Jourdan, que les jeunes combattants criant le « mayi-mayi » terrorisent encore longtemps les collines de Kivu.
La dimension économique est essentielle dans ce conflit en raison des immenses richesses naturelles et foncières de la zone. Province charnière au centre de relations complexes avec les pays des Grands Lacs, le Kivu souffre néanmoins de deux handicaps majeurs ; l'enclavement et l'insécurité. Infrastructures défaillantes, pénurie d'eau et d'électricité, absence de capital financier. L'économie informelle est dominante, note Cyril Musila, même si un nouvel axe semble se dessiner avec les Emirats arabes unis.
Aujourd'hui, ville fantôme perdue au milieu des affrontements, Goma est prise au piège d'enjeux géopolitiques qui la dépasse. Pour comprendre le rôle clé joué par la capitale provinciale dans le conflit du Nord Kivu, Stanislas Bucyalimwe Mararo propose un retour en arrière en 1993, à la veille du génocide rwandais et de l'extension de la guerre qui a enflammé toute la région.
Que fait la communauté internationale ? Depuis le génocide rwandais, elle a soutenu tous les processus de paix mais le bilan aujourd'hui est celui de l'échec avec une région au bord de l'embrasement généralisé.
Cyril Musila propose plusieurs explications à cet insuccès ;
- Militaire : la MONUC, malgré un budget important et 17000 hommes présents depuis 1999, n'a pu faire respecter les différents accords de cessez-le-feu et protéger les populations civiles.
- Politique : la communauté internationale qui évolue dans un cadre multilatéral, subit des volontés politiques contradictoires parmi ses membres. Ainsi, la France vient de faire des propositions, suivie par la Belgique mais l'Union européenne vient de refuser au mois de novembre 2008, l'envoi de forces. De son côté, les Etats-Unis ont toujours eu une attitude ambiguë. Et la nouvelle géopolitique régionale doit tenir compte désormais de l'arrivée massive de la Chine dans la région des Grands Lacs.
A l'heure où nous publions ce numéro, les combats continuent et la situation est explosive dans la région du Kivu.
Jean-Jacques Mallemanche