
En dépit d’une actualité récente qui conduit les entrepreneurs et les investisseurs français à s’interroger, à juste titre, sur le « risque Afrique », on a pu néanmoins noter ces derniers mois un regain d’intérêt de la part du secteur privé pour le continent.
Il faut rappeler, cependant ce constat admis par tous : l’insertion de l’Afrique subsaharienne dans les flux d’échanges mondiaux s’est sensiblement dégradée au cours des vingt dernières années.
Sa contribution au commerce mondial de biens est passée de 3,3 % à 1,6 % entre 1980 et 2000, la portion du stock d’investissement mondial a reculé dans cette zone de 4,4 % à 1,8 %.
Elle perd des parts de marché dans les produits de base, elle est sur-spécialisée dans des produits d’exportation traditionnels dont la demande a tendance à se contracter dans le monde. De plus, il faut rappeler que la vétusté des infrastructures au niveau régional pénalise lourdement les échanges entre les pays d’un même ensemble.
Par ailleurs, le poids de cette zone dans la population mondiale s’est fortement accru, mais qu’en dépit d’une croissance de l’activité d’environ 3 %, le revenu moyen par habitant a reculé de près de 8 % par an. 34 des 49 pays les moins avancés, recensés par les Nations unies, sont situés en Afrique.
Une réponse ? Le NPDA
Les responsables africains n’ignorent pas ces données et c’est dans ce contexte qu’ils ont très récemment élaboré et mis en œuvre le NPDA, initiative entièrement africaine. Le président du Sénégal Abdoulaye Wade s’en est fait l’inlassable apôtre. Le NPDA se veut l’expression d’un continent conscient de sa marginalisation dans l’économie mondiale et qui veut y prendre désormais toute sa place.
On le sait, après 40 années de politique d’Aide Publique au Développement, l’Afrique représente aujourd’hui à peine 1,5 % des investissements étrangers directs mondiaux.
La réduction de la pauvreté est incontestablement un objectif partagé par tous, c’est sur les moyens d’y parvenir que les états africains présentent une conception novatrice au regard de l’idéologie dominante qui privilégie l’assistance sans s’attaquer aux déséquilibres entre le Nord et le Sud.
L’APD doit ainsi être prioritairement orientée vers la mise en place d’ « outils » adaptés et destinés à créer de la valeur au sens large (marchandises, services, produits culturels dont l’Afrique est « riche ») et permettre de l’exporter dans des conditions équitables. Ce qui exige, comme le soulignait récemment le président de la république Jacques Chirac, une bonne gouvernance et la constitution de grandes régions qui seront de forts signes d’attraction et d’ancrage du secteur privé.
Les piliers du NPDA
Je retiendrai deux des principaux piliers du NPDA présentés aux responsables du secteur privé venus du monde entier à Dakar au printemps 2002 :
- la reconnaissance du niveau régional en tant que cadre de développement de l’Afrique, comme condition nécessaire à son intégration dans le commerce mondial
- la mise en cause de l’environnement qui attire les investissements étrangers et locaux.
Dans les colonnes du Figaro, Jean-Louis Arcaud rappelait que
le problème de l’Afrique n’est pas la mondialisation, « c’est plutôt d’en être coupée »
et d’ajouter que si l’État n’est pas en mesure de mettre en place des structures capables de favoriser les échanges privés, « rien ne se passera ».
La prise en compte par le G8 du développement régional
Le G8 à Kananaskis a pris cela en compte et ne s’est pas contenté, comme on l’a vu lors du précédent sommet sur le développement à Monterrey ou Halifax, de discussions limitées au niveau de la contribution financière de chacun.
La question n’est pas tant aujourd’hui le « combien » que le « comment » : coordination des politiques des bailleurs de fonds et mise en place un partenariat étroit et très en amont avec le secteur privé sont l’une des clefs de la réussite.
L’investissement privé viendra d’autant plus facilement et en proportion d’autant plus importante que l’intégration régionale sera forte et reconnue. Pour y parvenir, il faut établir des priorités dans le transfert de souveraineté nationale au niveau régional :
- en créant comme cela a été fait en Europe, une agence susceptible d’assurer la gestion d’infrastructures régionales ;
- en encourageant les initiatives visant à harmoniser l’environnement des affaires au niveau régional ;
- en constituant une structure régionale de négociations sur les questions multilatérales, à l’image du « Mécanisme de Négociations Régionales » (Régional Négociation Machinery) des Caraïbes.
D’ores et déjà, si l’on ne s’attaque pas aux vrais obstacles à la fluidité des échanges entre les pays d’Afrique en instaurant notamment une réelle harmonisation des politiques douanières et un contrôle de leur application, une initiative comme celle du NP DA ne pourra porter tous ses fruits.
La coopération avec l’Europe
Enfin, les efforts accomplis en vue de créer des zones économiques intégrées entre l’UE et l’Afrique doivent être poursuivis dans toute leurs dimensions commerciales et de coopération économique.
L’investissement étranger constitue avec l’investissement local l’élément moteur de la croissance et de l’emploi. Le secteur privé africain doit s’approprier la technologie la meilleure, dans une optique de développement durable et investir lui-même sur le continent. Comment donner en effet confiance aux investisseurs étrangers quand les entrepreneurs locaux ne croient pas réellement en l’avenir de l’Afrique ?
Je rappellerai les conditions pour atteindre cet objectif qui ont été maintes fois mis en avant, car elles sont essentielles :
- Mettre en place un environnement politique, juridique et financier stable pour un développement durable : en un mot assurer le fonctionnement d’un état de droit qui donne une visibilité de long terme aux investisseurs ;
- Fixer l’épargne locale en s’attaquant courageusement à la fuite des capitaux, la corruption et améliorer les structures financières et en favorisant la création ou en renfonçant les marchés de capitaux locaux existants;
- Concentrer l’aide publique au développement sur des projets significatifs, viables et ayant un impact visible;
- Redéfinir les conditions d’un partenariat public-privé ;
- Diffuser une image positive de l’Afrique à l’extérieur ;
- Donner une priorité à la formation professionnelle afin de créer une valeur ajoutée locale ;
- Conduire des actions d’envergure en faveur de l’intégration du secteur informel dans l’économie.
Le travail réalisé par les promoteurs du NPDA est plus qu’un message de confiance. C’est une initiative qui apporte une réponse à l’immobilisme des décennies passées.
Quelle réponse sera donnée par les bailleurs de fonds ?
Des actions urgentes doivent être mises en œuvre par les organisations internationales. La coopération entre les acteurs multilatéraux et bilatéraux de l’aide doit être la règle, car actuellement la confusion est grande. Le saupoudrage et donc le gaspillage en sont les principales conséquences et explique l’érosion progressive de l’Aide Publique au Développement qui demeure indispensable en Afrique.
La mise en place des infrastructures de communication entre tous les pays d’Afrique est un impératif pour la croissance et la valorisation des richesses. Dans ce domaine à forte intensité capitalistique qui exige un savoir-faire pointu, rien ne pourra se faire de manière durable sans une concertation étroite entre le secteur privé, les bailleurs de fonds et la puissance publique.
Ainsi, en dépit de tendances très marquées de certains bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale ces dernières années, la contribution du secteur privé ne doit en aucun cas se résumer à la seule privatisation. Mieux que les privatisations, les opérateurs privés peuvent apporter des solutions adéquates qui contribuent ainsi à la logique du développement durable.
Comment faire intervenir le privé ?
Privatiser un système d’approvisionnement en eau quand la plupart des équipements de distribution sont défectueux et génère des gaspillages n’a pas beaucoup de sens. Il ne faut pas se tromper d’objectif ! L’essentiel repose sur :
- la croissance durable ;
- le développement durable ;
- la création de richesses ;
- la création d’emplois.
Les capitaux investis dans une privatisation brutale ne sont plus disponibles pour des investissements ultérieurs. Le secteur privé a beaucoup à proposer, mais n’est aujourd’hui, et pour des raisons largement idéologiques, pas suffisamment associés en amont.
L’intérêt de la France pour le Partenariat Public – Privé
Nous notons des signes très encourageants dans le récent discours des responsables politiques français qui s’intéressent de nouveau à l’Afrique. Ils soutiennent le Partenariat Public-Privé qui apparaît comme un réel instrument de co-développement et de contribution opérationnelle à la croissance socio-économique en général. Les chefs d’entreprise et les investisseurs français et européens applaudissent à ces nouvelles orientations.
Le Partenariat Public-Privé, je le crois, est un processus efficace qui permet d’appréhender les projets dans la durée et de prendre en compte, dès le montage financier, les bénéfices socio-économiques nets générés par le projet sur la longue durée.
La puissance publique peut ainsi réellement optimiser sa dépense en intégrant une optique d’investissement créateur de valeur pour la communauté. L’ensemble de ces critères permet d’éviter les choix douteux ou peu réfléchis. Un partenariat public-privé bien compris et donc l’une des conditions pour atteindre la mobilisation des investissements étrangers en Afrique, instrument de développement durable, c’est-à-dire respectueux de l’environnement, des valeurs sociales mais aussi rentables.
Le NPPDA est, me semble-t-il, un cadre tout à fait approprié pour la mise en œuvre d’un tel partenariat entre le secteur public et le secteur privé.
L’Aide Publique au Développement ne peut pas tout
Retenons les leçons des décennies passées : l’Aide Publique au Développement ne résoudra pas la problématique du développement en général.
En faisant proliférer un interventionnisme non coordonné entre bailleurs de fonds et innombrables acteurs du développement, il s’est créer une confusion et des repoussoirs pour les entrepreneurs qui veulent créer de la richesse en Afrique. Il faut revenir à des conceptions simples.
Rien ne pourra se faire efficacement et durablement en matière d’accès aux besoins fondamentaux sans une participation très en amont des opérateurs privés, notamment au niveau des infrastructures.
Ma conviction est forte que l’Afrique recèle d’immenses potentiels de croissance. Pour les concrétiser, il faut créer les conditions qui permettent l’émergence d’un tissu d’entrepreneurs locaux et de tirer les bénéfices de la croissance mondiale.

Usine de ciment à Dire Dawa, en Ethiopie
Photo CC BY DFID – UK Department for International Development
Les pays d’Afrique nous proposent aujourd’hui un mode de coopération qui n’est plus celui de la simple main tendue.
Cette initiative marque un véritable tournant pour nous investisseurs et chefs d’entreprise, car elle définit un nouveau cadre de relations pouvoirs publics-secteur privé.
Nous ne pouvons que confirmer notre intérêt à ce projet moderne et nous attendons avec impatience que cette réflexion lucide et ces propositions faites par les Africains se concrétisent enfin car les mois passent, les discours sur le Nouveau Partenariat pour le Développement pour l’Afrique ont fleuri, les réunions se sont succédé, des promesses ont été faites, mais les décisions prises tardent à être mises en œuvre.
Il faut maintenant aller vite et passer à l’action.